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Promesse de redoux

Journal de la dépression d’une mère écrit par sa fille. Faits, impressions et poèmes s’y révèlent comme autant de manières pour comprendre et ne pas perdre pied.

Thématique·s
Récit

Journal de la dépression d’une mère écrit par sa fille. Faits, impressions et poèmes s’y révèlent comme autant de manières pour comprendre et ne pas perdre pied.

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Voir Montauk, de Sophie Dora Swan, est un premier livre personnel qui exprime avec pudeur le gouffre des heures noires vécues par une femme brisée par une douleur abyssale, peut-être la plus difficile à apaiser, celle de la tristesse chronique. Le récit écrit par sa fille présente les six semaines d’hospitalisation de la mère, un mois et demi de combat quotidien entre les exigences administratives, les recommandations contradictoires des psychiatres, le désarroi provoqué par un chagrin sans nom – jusqu’au retour à la maison, bien que la mère ne sache pas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. 

Le secours des autres

Que faire quand celle qui nous a donné la vie veut mettre fin à ses jours à cause de souffrances extrêmes? Faut-il tenter de l’en dissuader, ou appeler de ses vœux sa délivrance? Comment simultanément aider, espérer, se préserver? L’affection peut-elle demeurer intacte? Dégagées du texte, ces interrogations ramènent constamment à l’impasse dans laquelle se trouve la narratrice, prise au milieu d’un inextricable nœud formé de fils ombilicaux. «Parce que je n’ai jamais su comment être ta fille, je lis les mères, et je lis aussi les filles, fragiles et fortes comme des mères…» À travers la littérature, la narratrice décortique les codes de la filiation, faisant appel aux autrices – Sarah Chiche, Catherine Mavrikakis, Delphine de Vigan,etc. – qui ont elles-mêmes cherché, avec les mots, à nommer les liens étroits, distendus, renoués ou ambigus, mais toujours viscéraux, entre une fille et sa mère, et vice versa. «Les livres m’ont dessiné des racines, ont atténué la douleur de membres fantômes qui m’habitent», écrit l’autrice et psychiatre Ouanessa Younsi dans Soigner, aimer (Mémoire d’encrier, 2012). Il faut de solides assises pour soutenir la personne qui devrait prendre soin de nous. L’épreuve se montre particulièrement ardue lorsque la narratrice de Voir Montauk entame des recherches sur les modalités de l’aide médicale à mourir. Le ton didactique employé dans la section des questions les plus fréquemment posées détonne avec le contenu inducteur d’une issue fatale. L’amour suppose aussi la possibilité d’entrevoir un horizon irrévocable.

Sophie Dora Swan propose une quête dépourvue de comptes à rendre, de personnes à accuser, de victimes avec qui compatir. La pertinence de l’ensemble repose beaucoup sur l’absence de pathos, qui n’en fait pas un texte froid, mais plutôt un étonnant amalgame de visites du dimanche, d’appels à l’aide par textos, d’optimisme salvateur, avant que la peur de la possibilité du suicide ne revienne hanter la narratrice. Les transitions entre la prose et la poésie gênent parfois la fluidité de la lecture, pas tant à cause du changement de genre que de la différence de ton et de niveau de langage. Plus nuancée, la prose arrive à évoquer avec justesse la complexité de la situation et la confusion des émotions. La poésie, pour sa part, garde ses distances et s’approche moins des nuances, les contournant par des pointes d’ironie ou de colère blessée. «direction Montauk / de la brume des dunes / une page blanche / un amour immense / qui marche pas pantoute». Pour donner une véritable étoffe et une plus grande densité au texte, l’autrice aurait pu ajouter quelques passages. Bien qu’une indéniable vérité émane du récit, des retours plus fréquents dans le passé auraient été souhaitables pour saisir la portée des événements et approfondir la nature de la relation mère-fille.

Un voyage auquel s’accrocher

En trame de fond, l’idée, évoquée un jour par la mère, de se rendre devant l’océan, à Montauk, une petite ville de l’État de New York, devient en quelque sorte le vœu, la perspective d’une guérison. Ce projet signifie un avenir, donc la survivance de la mère. Que ce lieu soit surmonté d’un phare qui veille sur les eaux depuis 1796, empêchant les naufrages et guidant les bateaux pour les mener à bon port, ajoute une dimension symbolique au roman.

D’une façon similaire, l’écriture, plus qu’un exutoire, représente un espace d’expectative; un souhait exprimé officiellement, du fait qu’il a été inscrit quelque part, consigné ici dans le livre. Le récit débute avec la narratrice qui espère la visite de sa mère à l’occasion du deuxième anniversaire de sa fille. Il se clôt un an plus tard, jour pour jour, après l’hospitalisation et la descente aux enfers. Ce passage du temps, autour d’un événement qui a marqué l’existence de trois générations, livre sa force parce qu’il y a continuité. La mort n’a pas réussi à s’imposer jusqu’à maintenant, et si les afflictions ont laissé des stigmates, elles sont transcendées par la fête.

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Sophie Dora Swan
Saguenay, La Peuplade
2023, 184 p., 23.95 $