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Ce qui sertit le vivant

28 mai 2020 |
Poésie
Ce qui sertit le vivant

Le premier recueil de Marie St-Hilaire-Tremblay, Noctiluque, montre un bestiaire aussi inquiétant que flamboyant, au sein duquel navigue un sujet poétique qui n’a pas peur de se salir les mains pour arriver à s’étreindre.  

Marie St-Hilaire-Tremblay
Montréal, Les Herbes rouges
2020, 72 p., 15.95 $

Le premier recueil de Marie St-Hilaire-Tremblay, Noctiluque, montre un bestiaire aussi inquiétant que flamboyant, au sein duquel navigue un sujet poétique qui n’a pas peur de se salir les mains pour arriver à s’étreindre.  

La poésie s’attarde au vivant. C’est à la fois suspect et inévitable. Suspect, car ne nous mentons pas : il est parfois malaisé de lire la prolifération d’élégies à la forêt boréale, dans lesquelles la somptuosité du dehors devient prétexte à ne pas embrasser l’intime ou le politique. Et inévitable, bien sûr : ne s’agit-il pas au fond d’écrire sur ce qui pulse, ce qui frémit, ce qui s’agite ?  

Dans son Journal (Boréal, 2005), Marie Uguay soutient que la poésie incarne « un regard qui se pose sur les choses juste au moment où elles semblent respirer ». C’est par le biais de cette phrase que j’ai envie d’aborder le recueil de St-Hilaire-Tremblay, Noctiluque : chez cette dernière comme chez Uguay, on lit une poésie qui se fait hospitalière aux oscillations, qui se soumet aux tressaillements, à ce qui est cru et, oui, vivant.

Une poésie frénétique

Noctiluque. C’est le nom de ce qui devient phosphorescent durant la nuit. En d’autres mots, il caractérise les corps, les cellules qui éclairent dans l’obscurité d’une façon presque surnaturelle. À l’image de ces petits êtres magiques, mais aussi quelque peu menaçants, le recueil de St-Hilaire-Tremblay convoque un bestiaire paradoxal. Il n’est pas de l’ordre de l’extériorité, ou encore d’animaux sauvages vivant dans la savane ou domestiques que l’on tient en laisse; il trône à même l’intériorité de la voix poétique :

monstres
et mânes
n’ont jamais été obsèques qui craquent
le cataclysme évolue entre les flancs
fidèle à soi.

On ne trouve pas de zoothérapie salvatrice chez la poète, mais des « sangsues », « un silence fauve » et un fourmillement général qui contrevient à l’immobilisme : il s’agit de « percer [l]a chute en pleine fièvre », de multiplier les points d’attaque, de ne jamais s’asseoir dans un repli. Car si les animaux se meuvent dans le vif des muqueuses de la voix poétique, c’est aussi toute la transmutation entre le dedans et le dehors qui se déploie avec une énergie frénétique. Cette combativité me semble profondément politique : le sujet, bien qu’esseulé, refuse de se laisser abattre. S’opposer au statu quo agit comme une manière d’esquiver les forces astreignant à la stagnation. Partout, Noctiluque montre comment bouger équivaut à déjouer. Ainsi, quand arrive un terme, lorsqu’ « un horizon meurt », le mouvement est relancé tout de suite : « ça recommence ». Mais quel est donc ce « ça » se reproduisant encore et encore ? Je le vois comme une bataille de soi à soi, entre « [l]a bouche et [l]a bouche » du sujet poétique, où se fomente « une tempête / sereine pour elle seule ». Ces poèmes convient à un huis clos, où le « je » est seul pour mener sa conquête du sujet. Le recueil est campé dans une « ville fantôme », il n’y a pas d’allié·es en vue, et peut-être est-ce pour cela, par solitude ou par autosuffisance, que tout le règne du vivant imprègne le soliloque du texte : pour l’inventer là où de prime abord il achoppe.

Une tempête pour elle seule

Le « je », semble-t-il, a subi des traumas auxquels la personne lisant Noctiluque n’a pas accès. Alors qu’ « il y a quelque chose qui s’assied trop fort dans [l]a rage » de la voix poétique, il importe en effet moins de désigner ce « quelque chose » que de poursuivre le mouvement. On se situe toujours « à la surface de l’intimité » ; jamais complètement à l’intérieur d’elle. Pour se maintenir ainsi à la frontière des choses, on donne à voir l’état d’un corps en constante reconfiguration ; une reconfiguration dont découlent des pertes, des reliquats, mais aussi des possibilités de transcendance provoquant des éclats de beauté. Ici, on s’arrête régulièrement aux fleurs, aux ornements, qui, s’ils n’effacent pas la laideur, permettent peut-être de la contourner, d’y constater « l’impudeur irisée ». De cette triangulation du vivant surgissent des images inattendues, fascinantes. Le corps s’ouvre, dévoilant son caractère végétal et animal : « alors [l]es veines accueillent / l’arôme du mollusque mélangé / à celui des fleurs ». Parfois, une certaine préciosité transparaît : « balle lustrale, je m’enrêve, faria, troche, géhenne ». Voyons cette démarche comme participant de l’esthétique généralisée du recueil, où l’on aspire à dépasser les limites du convenu, mais interrogeons-nous afin de savoir si elle était absolument nécessaire.  

Entre le païen et le sacré

Violent, directif, sonore et emporté, le travail de St-Hilaire-Tremblay est celui d’une poursuite, d’une recherche dans tout ce que contient l’être de fuyant, mais avec lequel on doit pourtant bien composer en le soumettant à des ablutions, des macérations, du tamisage. Quel sera donc le soi qui surgira après ces procédés ? Sera-t-il saint ou païen ? À l’inverse du manichéisme, il s’agit surtout de « bien articuler [s]on incendie / et [s]a graisse de fille inusable ». Ce recueil, brillant et enténébré comme la bestiole de son titre, s’inscrit dans le contemporain par sa volonté d’introspection, mais il le dépasse, donnant à lire une poésie un peu sorcière, un peu sacrée et sertie de ce que le vivant a de mouvant, de jamais arrêté.

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