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Y mettre le paquet

Juste avec ce titre, les boutades se bousculent dans notre tête. C’est le but de l’auteur de Pénis de table, qui propose une conversation sans tabous sur la sexualité masculine.

Bande dessinée

Juste avec ce titre, les boutades se bousculent dans notre tête. C’est le but de l’auteur de Pénis de table, qui propose une conversation sans tabous sur la sexualité masculine.

Le dessinateur et scénariste Cookie Kalkair (Charles Huteau dans le quotidien), concepteur vidéo pour Ubisoft, en est à son deuxième album après la parution en 2016 des 9 derniers mois (de ta vie de petit con) aux éditions françaises Les Arènes, œuvre autobiographique qui racontait la grossesse de sa conjointe. Cette fois-ci, c’est après avoir constaté l’absence d'ouvrages sur la sexualité masculine qu’il a eu l’idée de rassembler un groupe d’hommes afin d’aborder le sujet de façon directe, sans pour autant tomber dans la discussion sensationnaliste. Charly, le prénom que prend l’auteur dans l’album, a recruté six hommes, trois Québécois et trois Français, de différentes orientations sexuelles et d’âges relativement variés (entre vingt-six et quarante-cinq ans) afin qu’ils conversent sur six grands thèmes liés à leur sexualité. Le livre se construit donc sur les vraies confessions des participants. Le résultat s’avère digne d’intérêt, bien que parfois trop anecdotique.

De tout pour tous les goûts

J’avoue d’emblée que la prémisse de cet album ne m’excitait nullement, étant convaincu qu’on y ressasserait nombre de clichés et que les conclusions qui seraient tirées de ces échanges seraient faussées vu le faible taux d’échantillonnage. Or, dès la fin de la première partie, j’ai compris que mes appréhensions se révélaient fausses, et que cette lecture serait fort agréable, instructive et parfois troublante. Aucune morale ou leçon n’est soulignée à grands traits, le lecteur assiste à une discussion franche sur la sexualité de sept participants, où l’on évite habilement les généralisations. L’album se construit en six chapitres distincts : la masturbation, l’orientation sexuelle, le pénis, l’orgasme, les fantasmes et la performance. Parmi le groupe d’hommes, trois sont hétérosexuels, un est pansexuel, un autre est homosexuel et les deux derniers s’avouent bicurieux. Le maître du projet, Charly, mène les échanges et relance les conversations avec des statistiques pigées ici et là. Les participants sont représentés assis autour d’une même table, chacun s’exprimant sur le sujet donné. Les traits des personnages sont caricaturaux, mais le dessinateur réussit brillamment à faire ressentir leurs émotions à travers leurs visages. Les vêtements, les couleurs et les décors utilisés varient aussi à chaque chapitre. Par exemple, lorsqu’il est question d’orientation sexuelle, les participants se retrouvent dans la jungle ; à la discussion sur l’orgasme, ils sont à bord d’une fusée, et ils sont vêtus comme des chevaliers au chapitre sur la performance. L’exercice amuse et brise la monotonie qui aurait pu s’installer à lire et à regarder des conversations d’hommes assis dans une salle de réunion ou dans une cuisine.

L’idée de pêcher des candidats de plusieurs horizons sexuels s’avère fort pertinente, mais c’est leur personnalité qui les rend crédibles et attachants, bien au-delà de leurs préférences. Par exemple, à un certain moment, Damien, hétéro et en couple, après avoir écouté les autres participants raconter leurs expériences, exprime sa frustration de se sentir à trente-quatre ans presque comme un puceau devant les récits parfois abracadabrants de certains de ses collègues. Stéphane, pansexuel, le réconforte en lui confiant qu’il lui envie sa chance d’être « casé » avec sa femme. Pour Stéphane, toutes les expériences sexuelles qu’il a eues sont derrière lui et il a maintenant de la difficulté à trouver quelque chose qui l’excite réellement. Ces types d’échanges sont les plus intéressants, ils vont au-delà des nombreuses et simples listes d’expérimentations ou de préférences sexuelles.

Trop éparpillé

Bien que l’on s’attache aux différents intervenants, certains chapitres sont un peu trop longs pour l’intérêt qu’ils suscitent. Le troisième, qui porte sur le pénis, sa taille et la circoncision, n’amène rien de bien nouveau sous le soleil, les discussions tournent un peu en rond et ne sont pas étoffées comme l’est la partie sur l’orgasme masculin. Le chapitre sur la performance aurait tout aussi bien pu être écourté, tout comme celui sur les fantasmes. Après avoir nommé les leurs, les protagonistes se questionnent sur l’importance ou non de les mettre en pratique. Rien de très transcendant ici, on se croirait presque dans un épisode de Parler pour parler animé par Janette Bertrand.

Il n’était pas dans les intentions de l’auteur de publier un album « documentaire » au sens strict du terme. Cependant, à force de voguer entre deux eaux, on saisit mal où Cookie Kalkair cherche à nous amener. À un participant qui évoque ses problèmes d’éjaculation, Charly conseille d’aller consulter un sexologue, ce qui semble la bonne chose à faire. Puis, lorsqu’un autre avoue qu’il est responsable de onze avortements, mise à part la surprise d’un tel fait chez un seul homme, la confession est traitée avec banalité. Loin de l’idée d’une leçon de morale, il m’apparaît pourtant sensé de penser que certaines personnes autour de la table ont pu réagir à ces propos. En somme, un album rempli de bonne volonté, mais qui se perd au fil des planches. ♦

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Cookie Kalkair
Montréal, Mécanique générale
2018, 184 p., 29.95 $