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Une force verbomotrice

Si l’existentialisme anthropomorphique constituait un courant littéraire au Québec, Catherine Ocelot en serait certainement la figure de proue. Regard sur son dernier album, La vie d’artiste.

Bande dessinée

Si l’existentialisme anthropomorphique constituait un courant littéraire au Québec, Catherine Ocelot en serait certainement la figure de proue. Regard sur son dernier album, La vie d’artiste.

Dans une démarche autobiographique aux accents oniriques, La vie d’artiste de Catherine Ocelot alterne discussions avec différents artistes et épisodes de son quotidien. Son dernier album pousse à une réflexion sur la posture de l’artiste et ses préoccupations. Comment se conjuguent vie domestique et pratique artistique? Quelles sont les conditions de la réussite en art? Quelles pressions pèsent sur les épaules des créateurs, des joyaux nationaux à carrière florissante aux incompris déplumés?

Le dialogue animalier, forme privilégiée par Catherine Ocelot

On retrouve dans La vie d’artiste ce jeu avec l’entrevue développé dans son précédent album (Talk-Show, 2016), où un ours polaire animait une émission quotidienne malgré l’omniprésence de problèmes communicationnels postmodernes. Au fil de dialogues-fleuves, des personnages (à moitié oiseaux dans La vie d’artiste) tentent d’extraire de leurs réflexions une forme de logique, une solution peut-être. L’impossibilité d’une telle réponse est pourtant mise de l’avant; le dialogue prisé par Catherine Ocelot circonscrit cette impossibilité. Jamais univoques, en constante oscillation, les narrateurs fouillent leur propre insécurité. Les scènes laissent transparaître une touche d’ironie et présentent l’alter ego de l’autrice submergée par le débit verbal de ses interlocuteurs.

Aux scènes d’entrevue s’additionnent des métaphores visuelles réussies, imbriquées au parcours autobiographique de l’autrice. La baignade, l’ascension, la nature foisonnante, les lieux de rencontre et les jeux de luminosité créent une unité visuelle à laquelle on s’attarde et qui contraste avec l’accumulation de phylactères des séquences dialoguées. La beauté fragile des moments mère-fille se développe ainsi en filigrane des interrogations de la protagoniste qui s’interroge sur sa démarche artistique.

S’approprier les lieux communs

Le sentiment d’une perte de contrôle dans le processus créateur, auquel s’entremêlent la peur de l’échec et les affres de la réussite, sont autant de préoccupations qui traversent les discussions des personnages. Dès le premier dialogue avec l’artiste Natacha Clitandre, les vertiges propres à la création atteignent la protagoniste. Tout en grimpant à un arbre, les deux amies discutent de leurs projets artistiques; Natacha se meut avec aisance jusqu’au sommet, alors que Catherine peine à maintenir le rythme et finit par perdre pied. Étalée en double-page, à travers les herbes hautes et les fourmis envahissantes, elle perd quelques plumes. Un peu plus loin, le témoignage de Micheline Lanctôt, qui revient sur ses combats, laisse transparaître certaines frustrations que vivent les mères qui choisissent d’embrasser la carrière d’artiste. Les conseils pour garder la tête hors de l’eau peuvent bien pleuvoir sur Catherine, elle demeure hésitante à plonger comme l’enjoint la cinéaste.

Catherine Ocelot revisite ainsi plusieurs figures de langage, s’appropriant dans son dessin des expressions valises (atteindre des sommets, plonger tête première) pour décrire sa propre expérience. L’humour qui sous-tend les réflexions de l’autrice permet de les énoncer sans lourdeur ou prétention. La discussion avec Julie Delporte et Daphnée B. qui décrivent leur rapport à l’autofiction, mais surtout leurs remparts contre les préjugés qui entourent leur pratique, en constitue un bon exemple. Les souliers à talons s’envolent, mais les conseils restent: «Tu as le droit d’exister Catherine.»

L’honnêteté dans la démarche autobiographique, mais également l’affirmation d’un imaginaire décomplexé façonnent la signature de Catherine Ocelot. À retenir, non seulement la justesse de la réflexion de l’autrice sur ce qu’implique la vie d’artiste, mais surtout son aisance à l’amalgamer avec une belle folie dans son dessin, une harmonie visuelle qui happe à la lecture. ♦

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Catherine Ocelot
Montréal, Mécanique générale
2018, 208 p., 29.95 $