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Un jardin qu'on appelait la Terre

Un jardin qu'on appelait la Terre

L’auteur de L’Afficheur hurle, Demain les dieux naîtront et Terre Québec, fêtera en mai ses soixante-dix-neuf ans, mais il s’interdit encore de détourner les yeux de la catastrophe planétaire annoncée.

Thématique·s
Poésie

L’auteur de L’Afficheur hurle, Demain les dieux naîtront et Terre Québec, fêtera en mai ses soixante-dix-neuf ans, mais il s’interdit encore de détourner les yeux de la catastrophe planétaire annoncée.

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Ce qui frappe dès le début, c’est la facture matérielle du livre ainsi que sa minceur. Trente-cinq pages de texte, c’est bien peu. Ajoutez un miroir de page plus ou moins réussi, une trop humble couverture, une absence de notices biographique et bibliographique, et vous aurez la vague impression que ce livre ne veut pas être remarqué. C’est un fait, il y a longtemps que les publications de Paul Chamberland ont cessé de faire grand bruit et, si on ne soupçonnait pas là un effet de l’âgisme ambiant, on se demanderait pourquoi il en est ainsi. Chamberland, de son côté, est peut-être fatigué de prêcher dans le désert — son texte nous apprend pourtant qu’il n’a rien perdu de ses capacités à analyser le monde où nous vivons ni de son talent à transformer en poésie sa déception et sa stupeur.

«Convoqué?/Me voici/Une conscience tuméfiée,/ça vous va?» Dès la première page, on comprend que le poète va nous offrir un livre grave, on sait qu’il s’agit d’une recherche philosophique, voire ontologique, et qu’elle se situe à des années-lumière du cynisme. Une «conscience tuméfiée»? Soit, mais le livre est tout de même porté par une parole plus aiguisée et plus douce que jamais. Il y a comme un profond chagrin dans cette dernière publication de Paul Chamberland. J’avais remarqué le même sentiment chez le défunt Michel van Schendel, son dégoût viscéral devant l’échec d’un grand rêve, celui du socialisme. Le jour où j’ai tenté de sonder ses émotions, je l’ai vu presque tétanisé par la déception et l’envie de vomir. Je me suis alors fait des reproches pour avoir ouvert cette boîte puante. Pourtant, à côtoyer un homme comme lui, on apprenait à ne jamais baisser les bras: tant qu’on est vivant, perdre espoir n’est pas une option. Je m’égare…

Donc, fidèle à lui-même, intelligent et sagace, Chamberland secoue nos consciences endormies. Il nous parle de la prière qui remonte de la gorge du gisant, un poème fort dont voici quelques vers:

Comment font les voix
quand elles prient?
[…]
Ça n’est même pas voulu par le priant,
la prière.
Il n’en peut plus, ça l’exténue
[…]
Prier tête dure,
prostré dans les décombres,
restera l’acte
d’ultime insoumission.

Ce qui broie les enfants

Chamberland a écrit ce livre en grande partie à la première personne du pluriel. Il dit ce qu’il reste de nous — et en nous — après que le nouveau capitalisme nous a hypnotisés, désensibilisés. Il dit aussi quelle fatigue nous portons. Souvent très elliptique, et toujours dénuée de lyrisme, la quête du poète est noble; pourtant, celui qui la mène sait bien qu’il risque de s’enfoncer dans les sables mouvants du nihilisme. C’est que Chamberland est de ceux qui ne craignent pas de se mettre en danger. Un autre extrait, celui-là écrit au «je», donne froid dans le dos à force de tout dire sans rien dire: «J’entends bien ce que tu me dis:/Viens!/Mais là/devant/je ne vois pas la moindre route./D’où m’appelles-tu?» Ce qui donne froid ici, c’est le non-dit, ce sont les vides que le lecteur n’a d’autre choix que de combler par des images qu’il va puiser à même sa réserve personnelle de pessimisme. On voudrait identifier l’interlocuteur auquel le poète s’adresse, mais on se demande en même temps s’il parle à un être suprême introuvable ou à sa propre conscience.

Et, plus loin, de toutes petites phrases: «Il faut que/que… que tu/ch…/chantes?/Il le faut?» Encore des phrases qui allument l’imaginaire, car elles ne révèlent que l’essentiel. Pour emprunter au langage de Marshall McLuhan, disons que la poésie est un «médium» très chaud, brûlant même, et que la participation du lecteur est indispensable. Alors seulement, comme l’écrit si bien Chamberland: «En nous alerté, l’animal sent peu à peu l’envahir une suée d’épouvante.»

En lisant Le fruit tombé de l’arbre, on aura une pensée pour la regrettée Hélène Monette, petite sœur jumelle de Chamberland,
et pour son dernier livre, Où irez-vous armés de chiffres?, un monument de douleur et d’impuissance devant l’état du monde. Plus que tout autre, Monette savait dégager ce que Paul Chamberland appelle dans son livre «la nue figure humaine qui supplie.» ♦

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Paul Chamberland
Montréal, Le Noroît
2017, 60 p., 17.00 $