Aller au contenu principal

Un fantôme d'inspiration

Un fantôme d'inspiration

Le fantôme de Madeleine est un recueil d’inspiration historique au fil conducteur évanescent, qui laisse les lecteur·rices avec beaucoup de questions.

Thématique·s
Poésie

Le fantôme de Madeleine est un recueil d’inspiration historique au fil conducteur évanescent, qui laisse les lecteur·rices avec beaucoup de questions.

Thématique·s

Quand le titre d’un livre nous annonce l’histoire d’un fantôme, le commun des mortels est peut-être tenté d’en apprendre davantage sur la personne que cette Madeleine aurait été de son vivant. En enfilant son chapeau de détective (alias Google), on découvre que ladite Madeleine Larché aurait quitté la Picardie et serait arrivée à Québec, en 1668, avec les Filles du Roi. Elle aurait été l’épouse d’un dénommé Élie Voisin et la mère de deux ou trois filles. Une fois veuve, elle se serait remariée une ou deux autres fois, mais les archives s’embrouillent. En 1679, elle aurait été accusée de scandale et chassée de la ville de Québec, même emprisonnée; toutefois, les détails de ces péripéties ne sont malheureusement pas clairs. Manifestement mouvementée, sa vie a été très certainement digne d’un feuilleton.

Pour ceux et celles qui voudraient découvrir l’histoire de Madeleine, sachez que Marc Arseneau a consciemment omis de fournir des informations biographiques aux lecteur·rices, préférant «ne pas imposer un sens1» à sa poésie. Voilà une honorable intention, qui nous laisse néanmoins sur notre faim. Sans lever le voile sur le mystère du personnage principal, le poète révèle tout de même quelques clés de ce qui a chatouillé son inspiration. Il mentionne notamment que son recueil «retrace le traumatisme ancestral».

Acadien originaire de Moncton, Arseneau réside sur la magnifique et pittoresque île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Après quatre titres aux éditions Perce-Neige, il fait paraître Le fantôme de Madeleine, son premier livre aux Écrits des Forges.

Une muse vaporeuse

La trame narrative du recueil reste cependant plus vaporeuse que ce que révèle notre enquête sur les origines de celle qui en est le point central. Au premier poème, on pense suivre le fantôme d’une «Madeleine enfant»; quatre pages plus loin, on se voit projeté dans un érotisme déstabilisant, qui laisse supposer qu’il ne s’agit pas du tout d’une fillette. Difficile de cerner le personnage, qui semble se métamorphoser à chaque souffle au fil de l’œuvre. Tantôt juvénile, tantôt adulte, il prend à l’occasion la forme d’un esprit, alors que par moments, on a l’impression, lors d’un retour en arrière, de retrouver la femme. En progressant dans la lecture, on se rend compte que le jeu de l’auteur va même jusqu’à incarner ce protagoniste dans une époque plus contemporaine. D’autres inconsistances liées au «je», au «tu» et au «il» du poème créent parfois de la confusion. Il est difficile de cerner si Arseneau s’adresse toujours à sa muse lorsqu’il écrit à la première personne, ou si les points de vue fluctuent.

En fin de compte, si on laisse de côté certaines attentes, il est possible de présumer que l’écrivain brode autour de Madeleine au lieu de raconter sa vie d’une manière plutôt narrative, comme l’aurait fait Georgette LeBlanc, par exemple. On soupçonne qu’il se sert de Madeleine plus comme une muse thématique qui fait vibrer la fibre de son inspiration, et qu’il cherche à créer un lien avec son histoire partout dans le temps, l’espace et l’imaginaire.

Hanté dans son errance

En évitant de s’accrocher à un fil narratif précis, on devient libre d’errer dans ce recueil pour apprécier la richesse des images. Malgré quelques répétitions agaçantes et une pléthore d’oxymores qui font un peu rouler des yeux, la plume d’Arseneau perce régulièrement les nuages de l’histoire sombre et mystérieuse de Madeleine. Il y a beaucoup de beauté et de délicatesse qui amènent à lire et à relire ce livre tout en prenant plaisir dans l’évanescent:

je suis venu ici
pour éprouver
ce qui arrive au cœur
en reconstruction
dans la brume des doux
baisers d’été

Songeons aussi au magnifique petit poème intitulé «fil d’Ariane», qui précise la démarche d’écriture de l’auteur: «mon corps s’investit / dans le poème / l’oreille à l’écoute / des voix lointaines».

Le fantôme de Madeleine conserve quelque chose de très personnel, même si au fil de son errance, le poète raconte à sa manière cette présence qui le hante. Vers la fin du livre, Madeleine perd son aspect fantomatique et historique pour s’ancrer dans la modernité et devenir l’objet du désir de l’écrivain.

La structure narrative du recueil aurait gagné à être resserrée. Malgré ses imperfections, Le fantôme de Madeleine demeure une lecture agréable avec quelques belles surprises, qui incitent les lecteur·rices à pardonner certaines maladresses.

  • 1. Propos recueillis lors d’un entretien informel avec l’auteur le 23 septembre 2021.
Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Marc Arseneau
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2021, 90 p., 15.00 $