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Un ami proche

Mû par la maladie et une tentative désespérée de domestiquer le quotidien, Frédéric Dumont publie son meilleur ouvrage avec Je suis célèbre dans le noir.

Poésie

Mû par la maladie et une tentative désespérée de domestiquer le quotidien, Frédéric Dumont publie son meilleur ouvrage avec Je suis célèbre dans le noir.

Après Événements miteux (Les éditions de ta mère, 2009) et Volière (L’Écrou, 2012), Frédéric Dumont revient avec un troisième recueil qui, malgré un sujet lourd — une hospitalisation —, jette une lumière véritable et intime sur le cours des jours. Si le recueil épate et surprend à ce point, c’est qu’il se définit par ce qu’il n’est pas : nombreux étaient les pièges dans une telle entreprise, avec brio Dumont les esquive. Sans pathos, ni apitoiement, évitant de tout désamorcer par l’ironie ou une mise à distance surréaliste convenue dans les circonstances, Je suis célèbre dans le noir est un recueil qui offre les morceaux de bravoure que l’on peut trouver entre le moment où l’on fait son lit le matin et celui où l’on éteint la lumière le soir. Les difficultés sont multiples pour simplement être au monde, et c’est exactement ce que Frédéric Dumont sonde avec habileté et une pincée d’humour.

Divisé en sept sections, le livre ne pourrait pas énoncer plus clairement le projet qu’avec ces premiers vers : « Ma méthode d’écriture / est très simple : je sors de l’hôpital / retourne vivre chez ma mère / change de pharmacie ». Celui qui tout au long tentera de « trouver un lampadaire / par lequel arriver en ville » parvient en peu de mots, quelques vers, à cibler les troubles qui grugent le réel jusqu’à le rendre étrange, asphyxiant. Par un dosage toujours efficace de certains procédés connus — répétitions, références populaires —, le poème ne joue pas de la surenchère : « en théorie je suis debout / en pratique je suis étendue sur un boulevard / en théorie j’écris un poème / en pratique je fais la file au centre local d’emploi ». La poésie est ici plurielle : les vers comme les strophes répondent au besoin du texte (le poème possède tantôt une, deux ou trois strophes, les vers se regroupent ou se tiennent seuls), jamais ils ne nous parviennent trop charpentés, et c’est de cette disparité formelle que naît la cohérence du recueil.

Être légion

maman j’ai encore raté ma santé mentale

Si les obligations du quotidien peuvent peser au point que sortir du lit semble une épreuve insurmontable, l’effort est redoublé lorsqu’on cherche dans le regard des amis, des proches, de la famille, autre chose que de la pitié. Quand « ouvrir la lumière est un geste grossier », la noirceur de Dumont n’est pas celle des ténèbres, mais permet de ralentir le présent, sans toucher à l’interrupteur. Quand j’avançais dans la lecture, la détresse de Dumont — qui ne cherche ni à être le centre de tout, ni à se faire intime, mais plutôt à embrasser large — devenait aussi la mienne. Je ne peux le contredire lorsqu’il affirme que « pleurer demande une méthode », encore moins lorsqu’il écrit : « je ne crois pas que j’aurai assez d’argent un jour / pour vivre jusqu’en janvier ». Moi non plus Frédéric, moi non plus.

je tiens cette main et si je lâche ce que je tiens
je finirai seul dans ce poème
seul dans ce poème
à écrire ce poème
où j’essaie de tenir
ce qui m’empêcherait
de mourir seul
dans ce poème

L’inquiétude de la solitude est palpable, mais les craintes de Dumont sont inutiles. À aucun moment il ne mourra seul dans ce poème, pour la simple et bonne raison que ces vers existent. Si ses préoccupations sont nobles, si les raisons de broyer du noir sont multiples et la crainte de ne pas importer peut sembler fondée, l’existence même de cette poésie résilie son isolement. L’écriture poétique est tantôt amirale, tantôt générale, et chaque lecteur est légion. Par sa poésie, Dumont transcende la solitude pour se constituer une armée. J’en suis. Vous le serez aussi. Ainsi, jamais un poète ne peut-il être seul.

On retrouve facilement certains recueils dans sa bibliothèque, ceux qu’on veut garder près de soi et que l’on classe avec les autres un peu contre notre gré. D’autres ont le luxe précieux de contenir un vers, une strophe, un poème qui nous suivra longuement. Qu’importe où le recueil a disparu, qu’on l’ait passé à un ami qui (avec raison) ne daigne pas nous le rendre ou que nous l’ayons égaré, ces quelques lignes nous accompagnent où que nous soyons. C’est le cas de Je suis célèbre dans le noir qui a logé en moi une strophe à laquelle je reviens souvent : « et si je me défenestre / à chaque poème / c’est que je connais l’importance / de sortir prendre l’air ». Avec ces vers, Frédéric Dumont est devenu un ami proche, un de ceux auxquels je pense souvent. ♦

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Article au format PDF
Frédéric Dumont
Montréal, L'écrou
2019, 116 p., 15.00 $