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Un ADN francophone

Dossier

Créer en français dans ma région veut dire que je suis fidèle à mon identité franco-ontarienne. Par mes créations littéraires, j’exprime mes idées, mes sentiments, mes observations de la vie autour de moi dans ma langue. Je vis dans le Grand Nord ontarien, plus précisément à Kapuskasing, une ville située au sud de la baie James, dont la population est maintenant à plus de 70% francophone, et qui est entourée de petits villages encore plus francophones. Je suis née Hélène Poitras, à Fauquier, dans un de ces hameaux avoisinants. Je me souviens, dans mon enfance, d’avoir demandé à mon père si les anglophones pleuraient en anglais. N’en ayant jamais vu, puisqu’il n’en existait pas dans ma localité, ils apparaissaient dans ma tête d’enfant comme des extraterrestres.

Créer en français dans ma région veut dire que je tiens ma promesse d’en faire connaître l’incroyable beauté par mes écrits. C’est un plaisir pour moi d’exploiter la richesse de ma langue pour décrire mon coin de pays: ses vastes espaces, ses forêts giboyeuses, ses nombreux lacs et rivières, ses sites de camping, ses pistes de ski et de motoneige, et quoi d’autre encore; et pour dépeindre ses habitants par le biais de mes personnages. Des gens qui, malgré l’éloignement des grands centres, vivent les mêmes choses que les gens de partout ailleurs.

Créer en français dans ma région veut dire aborder la question de l’insécurité linguistique, un complexe relatif à la façon de parler le français. Un phénomène qui a fait souvent les manchettes dernièrement. C’est ce malaise qui m’a incitée à nommer notre vernaculaire ontarien dans un essai intitulé Le tarois, publié en 2016 dans la revue Liaison, à L’Interligne (Ottawa). Le but était de faire en sorte qu’on se sente à l’aise d’utiliser ce langage courant sans crainte d’être mal jugé. Car, en fin de compte, qu’est-ce que la langue d’un peuple, sinon l’expression de sa culture, l’expression de ce qu’il est? Une décision décriée par les puristes, mais accueillie avec beaucoup de libération par une grande majorité de locuteur·rices.

Le mot tarois est un raccourci de notre ancienne appellation: les Ontarois. Il s’agit d’un parler comparable au joual québécois et au chiac du sud-est du Nouveau-Brunswick. C’est une variante du français qui exprime une culture immergée depuis longtemps dans un milieu anglophone. Ce qui fait qu’ici, un truck, c’est plus solide qu’un camion, une gang, beaucoup mieux qu’un groupe,
du fun, plus emballant que du plaisir, un ski-doo, plus puissant qu’une motoneige et une blind date, plus excitante qu’un rendez-vous à l’aveugle.

Par conséquent, créer en français dans ma région nécessite une écriture qui comprend un mélange de français standard et de tarois. Pour bien représenter les gens de chez nous, pour leur donner vie, pour les rendre authentiques, il importe que mes dialogues reflètent leur parler. Comme l’a fait Michel Tremblay d’ailleurs dans ses romans tels que La grosse femme d’à côté est enceinte et Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges. Je n’ai jamais oublié mon émerveillement à la lecture de ces livres. Je me retrouvais dans les dialogues. (Il faut dire que le joual ressemble beaucoup au tarois.) Aujourd’hui, je me réjouis d’entendre mes lecteurs et lectrices me confier: «J’aime lire tes livres, Hélène, parce que j’me r’trouve dans tes histoires. Tes personnages parlent comme nous aut’es!»

Créer en français dans ma région veut dire répondre à la fameuse question souvent posée, à savoir pourquoi je n’écris pas en anglais, étant donné que j’aurais accès à un plus grand public. Un anglophone bilingue m’a fait un jour la remarque suivante: «D’une part, vous êtes excessivement fiers d’être francophones et vous défendez cette francophonie avec acharnement. D’autre part, vous massacrez votre langue et une grande partie de la population préfère lire en anglais.» Réponse? Les gens de chez nous sont fiers d’être francophones parce que c’est ce qu’ils sont: Franco-Ontariens! Que quelqu’un parle en tarois ou aime mieux lire en anglais ne veut pas dire qu’il nie sa francophonie. Ça veut simplement dire qu’il s’exprime en se servant d’une variante dialectale. En outre, selon les linguistes, l’emploi d’une variante relative à une langue est un phénomène tout à fait normal, qui existe partout dans le monde. Aussi, il ne faut pas oublier que le tarois est une langue orale et que la langue écrite reste toujours le français standard.

Alors je continue de créer en français dans ma région. Je suis née avec un adn francophone; mon cœur, mon intérieur, mes sentiments sont francophones. J’adore écrire dans ma langue avec des dialogues tarois. Et… bonne nouvelle! J’ai déjà convaincu plusieurs passionné·es de lecture de lire en français. Je vous invite, donc, à me lire. Vous verrez ce que je veux dire.

 


Résidente du Nord de l’Ontario, Hélène Koscielniak a remporté plusieurs prix littéraires pour ses romans, dont celui de l’Association des professeurs de français en 2018. Elle a aussi publié un essai, Le tarois, sur cette variante linguistique des Franco-Ontariens. Une fervente d’actualités, ses écrits traitent invariablement de thèmes réalistes et contemporains.

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