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Très étonnants voyageurs

Ou comment j’ai trouvé un bout de Moldavie sur la plage de Saint-Malo.

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Ou comment j’ai trouvé un bout de Moldavie sur la plage de Saint-Malo.

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Chaque année en juin se tient à Saint-Malo le festival Étonnants Voyageurs qui réunit trois jours durant plusieurs dizaines d’auteurs, poètes et cinéastes francophones de partout dans le monde. J’y étais pour parler de mes livres, non pas comme invité du festival, mais comme hôte de la Maison du Québec à Saint-Malo. Je me suis bien amusé. J’avais accepté l’invitation en partie pour pouvoir sortir de Paris où j’étouffais depuis quelques mois. J’ai ainsi pu jaser de mon travail d’écrivain en échappant au supplice de la table ronde, cet exercice incontournable et souvent stérile qui consiste à placer aléatoirement sur une table de dissection une machine à coudre et un parapluie pour leur demander à tour de rôle: «Aimez-vous les caramels mous?» S’ensuit une discussion doucereuse et convenue où chacun tente de placer les phrases qu’il a préparées tout en ignorant du mieux possible les propos des autres invités, voire les questions qui lui sont posées.

Je m’en suis quand même tapé une à Saint-Malo parce que j’étais attiré par un nom: Vladimir Lortchenkov. Écrivain russophone moldave, il réside depuis deux ans au Québec. J’avais lu son premier livre, Des mille et une façons de quitter la Moldavie (Mirobole, 2014), un sourire épais aux lèvres. C’est que notre nouveau compatriote est très drôle. Je ne sais d’ailleurs pas s’il mesure toute la finesse de sa drôlerie. Il nous en a donné la preuve en s’endormant pendant que les autres auteurs parlaient de leur livre. Réveillé par la question de l’animateur, Lortchenkov s’est contenté de dire que l’écrivain est un enfant qui joue. Il semblait un peu ennuyé par toutes ces questions. Ensuite, la table ronde a tourné en eau de boudin et s’est achevée sur les propos interminables d’un auteur belge.

Lortchenkov était pourtant bien à sa place à ce festival,car les personnages des Mille et une façons de quitter la Moldavie sont de très étonnants voyageurs que je vous invite à découvrir. Dans cette ancienne république soviétique que l’auteur décrit comme le pays le plus pauvre d’Europe, tout le monde veut émigrer. Où? Vers l’Italie, bien sûr! Les personnages de

Lortchenkov considèrent ce pays comme un eldorado, une terre promise. Lortchenkov mélange avec beaucoup d’adresse des anecdotes assez plausibles pour que l’on comprenne qu’elles se sont réellement produites — par exemple, l’histoire de ces pauvres diables du village de Larga à qui l’on a promis un voyage en autobus vers l’Italie mais qui aboutissent à Chisinau, capitale de la Moldavie —, et des récits sortis tout droit de son imagination peu embarrassée par la vraisemblance, telle l’histoire de ce Vassili prêt à tout pour émigrer et qui transforme son tracteur tantôt en avion, tantôt en sous-marin. L’auteur ne recule pas devant la cruauté. Ainsi, quand Maria se dirige vers l’acacia pour s’y pendre parce qu’elle ne supporte plus cette vie de pauvreté sans issue, c’est parce que son mari, au courant de ses projets de suicide, lui avait demandé de ne pas attacher sa corde à la branche du noyer: «Tu vas casser les branches du bas, là où la récolte est la plus abondante.» Lortchenkov doit être dans sa vie une personne très pragmatique. On sait de lui qu’il a grandi dans tous les coins de l’Union soviétique, car son père était officier de l’armée. Mourmansk, Kiev, Chisinau... il connaît toutes ces villes! Il paraît qu’il adore Tadoussac où il m’a confié vouloir prendre sa retraite. L’hiver, Mourmansk et Tadoussac doivent se ressembler.

Mais retournons à ces pauvres Moldaves désespérés qui, dans l’espoir d’obtenir un visa de voyage, forment une équipe de curling, un sport dont ils n’ont jamais entendu parler. Apitoyons-nous un instant sur ce pope qui prend la tête d’une croisade pour sauver l’Italie de la perdition (et la repeupler de Moldaves au passage), ayons une pensée, une prière, pour ce président qui feint sa propre mort pour émigrer vers Milan où il compte ouvrir une pizzeria, un destin qu’il considère préférable à celui de chef d’État moldave. Les fans d’Andreï Kourkov (Le pingouin) se sentiront chez eux. On devine cependant un raffinement différent dans l’absurde chez Lortchenkov, dont les personnages s’expriment d’une manière assez étonnante étant donné leur faible niveau d’instruction. Le résultat n’en est que plus frappant. Kourkov, qui préface volontiers les livres de Lortchenkov, déclare: «À l’heure actuelle, Vladimir Lortchenkov est sans aucun doute la voix la plus fraîche et la plus ironique de la nouvelle littérature russophone.»

Dans Le dernier amour du lieutenant Petrescu (Agullo, 2016), Lortchenkov nous ramène en Moldavie où nul autre qu’Oussama ben Laden s’affaire derrière un comptoir à chawarmas. Le pays devient une plaque tournante du terrorisme islamiste international. Et déboulent ces idées tellement rocambolesques qu’on se demande où l’auteur les prend, en les lui enviant quand même un peu. Il y a quelque chose du baron de Münchhausen dans les personnages de Lortchenkov, un élan qui vous fait accepter toutes leurs lubies et leurs transports les plus fous.

Notre nouvel auteur québécois n’a pas encore d’éditeur dans son pays d’accueil. Attention, l’absurde pourrait vous engloutir...♦

 

Des mille et une façons de quitter la Moldavie
Bordeaux, Mirobole, 2014, 256 p.

Le dernier amour du lieutenant Petrescu
Villenave-d’Ornon, Agullo, 2016, 308 p.

Les aventures de Séraphim, prophète moldave oublié des dieux
Paris, Pocket, 2016, 396 p.

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