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Transcender la honte

Le livre d’une enfance puckée. L’histoire d’une petite fille qui comprend trop vite que «l’herbe est plus verte chez le voisin». Par chance, c’est aussi le récit d’une enfant qui a développé un grand sens de l’humour et un regard perspicace sur le monde, question de ne pas l’affronter sans ressources.

Roman

Le livre d’une enfance puckée. L’histoire d’une petite fille qui comprend trop vite que «l’herbe est plus verte chez le voisin». Par chance, c’est aussi le récit d’une enfant qui a développé un grand sens de l’humour et un regard perspicace sur le monde, question de ne pas l’affronter sans ressources.

Burgundy, c’est ainsi que la jeune Mélanie, alter ego de l’autrice, désigne son quartier natal, «un lieu où l’on ne grandit pas vraiment, où l’on reste petit, comme dans le nom. Little Burgundy. Je le dis en anglais parce que Petite-Bourgogne, j’aime pas ça. Je dis juste Burgundy comme les grands du quartier, et en le prononçant beurre-gaine-dzi comme les francophones du boutte». Forte de sa répartie et de sa curiosité, elle fait face à la réalité parfois avec candeur, mais surtout avec culot.

Même si le ton du premier livre de Mélanie Michaud est empreint de légèreté et ponctué d’ironie, le contexte ne trompe pas: quand elle décrit son paternel «sur le BS», les cambriolages, les déménagements fréquents d’un appartement à un autre, l’absence de diversité alimentaire ou de lunch dans son sac d’école, la narratrice présente avant tout un foyer où il manque cruellement d’amour.

D’ailleurs, lorsqu’elle atteint l’âge de onze ans, son père, plus à l’aise financièrement grâce à un «boulot» chez les motards, parvient à installer toute la famille dans une banlieue plus tranquille. Toutefois, les carences affectives et la pauvreté intellectuelle perdurent, la télévision reste toujours allumée, la violence demeure:

On était des losers flamboyants. Des perdants forever. Je n’aurais jamais des parents professeurs; je ne réussirais jamais à être cultivée et acceptée dans la normalité.

Dans une langue orale, crue et décomplexée, la narratrice nomme sans détour ce qui constitue sa jeunesse: la masturbation, les idées suicidaires, le désir de plaire, les envies de révolte, l’anxiété. Elle raconte aussi comment, parmi les livres qu’elle vole pour garnir la bibliothèque de sa chambre, un auteur la touche plus que tous·tes les autres, notamment parce qu’il lui parle d’elle:

Ce qui est fascinant, c’est que les personnages de Michel Tremblay, ils parlent comme nous autres, ben comme moé, ben comme le monde moins frais chié, mettons. Je savais pas pantoute qu’on avait le droit d’écrire de même. Je trouvais ça beau de nous voir dans des livres!

Prise de conscience féministe

J’ai eu envie d’écrire «le gros machisme sale» plutôt que le «sexisme» pour nommer ce que dénonce le récit de l’autrice. Pour le clin d’œil à sa plume, certes, mais surtout parce qu’elle se replonge dans une jeunesse pas si lointaine – les années1980 et1990 – et qu’elle montre que le statut de la femme n’évolue pas partout au même rythme. Ainsi, elle révèle les failles d’une société encore profondément machiste. Sa critique virulente prend plusieurs formes: un féminicide («Linda la magnifique était morte assassinée.»); le viol d’une fillette que tout le quartier traite de salope; une très brève expérience dans les jeannettes, où la narratrice comprend que les filles préparent du chocolat chaud aux garçons qui jouent au hockey. Le sexisme, c’est aussi à la maison: «Pourquoi JE dois faire la vaisselle?»; «Parce que t’es une fille!»; «Crisse! Ç’a pas rapport, je lave pas la vaisselle avec mon vagin!»

S’extirper de son milieu

Ce roman, dans lequel le lexique de la honte est omniprésent, est aussi celui d’un exil. Familial. Social. D’une enfance sous le signe de la violence, de la négligence, la narratrice ne conserve que quelques souvenirs heureux, surtout liés à la lignée de femmes dont elle est issue: une grand-mère toujours prête à recevoir; sa maman lorsqu’elle soigne ses blessures ou lui nettoie les oreilles.

Les derniers chapitres prennent une certaine distance par rapport au récit initial. Ils versent davantage dans l’introspection, la quête de sens. La narratrice nomme les traces de l’enfance qui ne s’estompent jamais complètement, le cycle du manque d’amour qu’elle a voulu briser avec
son fils:

Je trouve que ça paraît chez une personne, qu’elle a subi des lacunes affectives durant son enfance. Avoir su. Je ne savais pas où ma névrose irait quand, à dix ans, j’ai commencé
à ronger mes ongles.

L’écriture de Mélanie Michaud a les mêmes forces que celles de sa protagoniste: humour, perspicacité, panache. Comme si la forme du livre, sa langue étaient intrinsèquement liées au récit: celui des ressources qu’on développe et déploie pour que la vie laide laisse un goût un peu moins amer.

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Mélanie Michaud
Montréal, La Mèche
2020, 198 p., 22.95 $