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Théâtre de la guérison

Avec Tragédie, une pièce testamentaire qui cristallise sa démarche artistique et son combat féministe, Pol Pelletier relie le passé et le présent sans cesser d’espérer en l’avenir.

Théâtre

Avec Tragédie, une pièce testamentaire qui cristallise sa démarche artistique et son combat féministe, Pol Pelletier relie le passé et le présent sans cesser d’espérer en l’avenir.

Présentée dans une première mouture sous l’intitulé Cérémonie d’adieu, en 1999, à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, l’œuvre a été créée sous le titre Nicole, c’est moi à l’Espace Go, en 2004, avant de poursuivre sa route, de 2005 à 2008, en France, mais aussi à Québec et à Laval. En janvier dernier, le texte de Pol Pelletier paraissait aux éditions de la Pleine lune, coiffé d’un troisième titre: Tragédie.

La «femme-dinosaure»

En guise de préface, on trouve un texte aussi court que senti rédigé en 2004 par la regrettée Hélène Pedneault, écrivaine et metteuse en scène, proche collaboratrice de Pelletier. À propos de l’autrice de Tragédie, qui n’hésite d’ailleurs pas à se décrire comme une «femme-dinosaure» pratiquant une forme très archaïque de dramaturgie, comme une conteuse ouvrant une porte sur l’univers, Pedneault écrit avec justesse:

[E]lle cherche des femmes, elle les retrace, elle appelle ses aînées, ses ancêtres, elle ressuscite l’abbesse Hildegarde von Bingen, enfouie au xiiesiècle; Camille Claudel, la folle, qui détruisait ses œuvres; Françoise Loranger, auteure de théâtre, qui a chamboulé les règles du théâtre au Québec; et elle finit en prenant dans ses bras les 14 victimes de Polytechnique, assassinées il y a 15 ans cette année, une tragédie qu’on a très vite enfouie au fin fond de notre inconscient collectif, de peur de découvrir ce qu’elle signifiait.

Éminemment politique, mais également sociologique et historique, voire anthropologique, la démarche de Pelletier – dont le fond est indissociable de la forme – est faite de rituels et d’incantations, de vibrants hommages et de virulentes imprécations, de sacré et de profane. Au Québec, son théâtre de guérison, geste artistique de réparation courageux (et ce, même si certain·es pourraient estimer que le travail de Pelletier est antagonique et dogmatique), est aussi singulier que précieux.

Après Joie (Remue-ménage, 1995), puis Océan et Or (toujours inédites!), pièces qui constituent la bouleversante Trilogie des histoires, créée entre 1992 et 1997, Tragédie couronne une œuvre de mémoire et de convictions sans pareille dans l’histoire du théâtre québécois. Pluriel, polyphonique, intemporel, le monologue sonne terriblement juste et affreusement nécessaire dans un présent où la violence faite aux femmes par les hommes ne cesse de croître et de prendre de nouvelles formes.

«Livre-document»

L’ouvrage, que l’éditrice n’hésite pas à qualifier de «livre-document», offre plusieurs suppléments appréciables. Grâce à de judicieuses réflexions sur la mise en scène de sa pièce et aux très belles photos signées Robert Etcheverry, Pelletier fait revivre le spectacle, tant dans sa matérialité que dans les idées fortes qui le sous-tendent. Dans les textes qu’elle propose en guise de postface, il est question du costume, de la musique et du chant, sans oublier les accessoires, à commencer par cette croix en bois de sept pieds de haut que l’actrice porte tout au long de la représentation. Pelletier présente aussi les sept principes qui mènent à un état de présence hors du commun au cours du spectacle théâtral. Ces sept lois sont au cœur de la méthode de la metteuse en scène.

Estimant que «la connaissance de l’histoire fait de nous des êtres avec de l’épaisseur et de la profondeur, tellement vivants!», l’autrice a eu la brillante idée d’ajouter dans la pièce même, c’est-à-dire dans le corps du texte, des apartés historiques plus ou moins longs, des précisions éclairantes qui enrichissent grandement la lecture, mais qui pourraient également, visualise-t-elle, étoffer la représentation:

Imaginer un personnage qui s’appellerait l’Histoire (ou l’Histoire des femmes?) fait sauter mes neurones. La dynamique scénique que cela créerait entre elle et la femme de théâtre! Mon éditrice dit que ce personnage pourrait jouer un rôle semblable à celui du chœur dans la tragédie grecque. Oh! Je pense que si je voulais remonter la pièce, je ferais de l’Histoire une femme sûrement, plusieurs peut-être, mais aussi une sorte d’animale, aiguë et sobre, ou tonitruante et «jack-in-the-box», petite de taille.

Vérités cachées

Dans les dernières pages, la femme de théâtre réfléchit à l’ensemble de sa démarche et livre une sorte de credo: «La plupart des artistes sont envoyés pour divertir, c’est-à-dire pour refouler la souffrance collective. D’autres, plus rares, sont envoyés pour révéler. Des vérités cachées.» Bien plus que la simple publication d’une pièce, Tragédie est l’occasion d’un bilan constitué de mises au point, d’enseignements ainsi que de prises de conscience et de position. Voilà certainement une œuvre qui s’impose pour faire découvrir le legs de Pol Pelletier à celles et à ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir et de l’entendre sur scène.

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Pol Pelletier
Montréal, Pleine lune
2021, 176 p., 22.95 $