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Tendres cisailles

Une intrigue capillaire qui dévoile l’éducation sentimentale d’un jeune homme en quête de lui-même.

Bande dessinée

Une intrigue capillaire qui dévoile l’éducation sentimentale d’un jeune homme en quête de lui-même.

Michel a dix-neuf ans lorsqu’il commence son stage en coiffure au salon Dolorès et Gérard. Inexpérimenté sur le plan professionnel autant que sentimental, le jeune apprenti est loin de se douter qu’il passera, en l’espace de quelques semaines seulement, de croquignolet puceau à jeune adulte qui aura appris à s’accepter (un peu mieux). Sur la voie de cette initiation, il y a d’abord la petite équipe du salon — Antoine, le patron stoïque, Carole, la coiffeuse délurée et Annie, l’esthéticienne avenante — mais aussi deux jeunes femmes de son quartier, Sonia et Marielle, qui subissent de l’intimidation à caractère sexiste. C’est surtout au contact des différents protagonistes féminins que Michel apprend à devenir un homme, et ce, en embrassant sa délicatesse.

Avec une belle maîtrise de son sujet, Sylvain Cabot signe un premier album dans lequel il revisite avec sensibilité un épisode autobiographique formateur. Au-delà de la découverte de la sexualité et de la sensualité, le récit interroge la formation de la masculinité et raconte un apprentissage des relations hommes-femmes.

La délicatesse au service d’un récit initiatique

À certains égards, l’atmosphère de l’album rappelle tantôt Camille Jourdy, tantôt Michel Rabagliati, auteurs qui dressent des portraits délicats et sensibles de gens simples dans lesquels on se reconnaît et se projette facilement. L’importance de la petite communauté qui se forme autour du personnage de Michel, avec ses joies et ses drames journaliers, est révélatrice de la prégnance de la douceur dans la construction du récit. Qu’il s’agisse de ses interactions plus difficiles avec la clientèle (souvent âgée) du salon, avec le bum intimidateur du coin ou encore avec les filles qui l’intéressent mais qui l’effarouchent, c’est par l’apprentissage de l’art de la coiffure que Michel entre réellement en contact avec son entourage; la coiffure devient peu à peu une métaphore de son parcours pour apprendre à s’accepter et à s’investir dans son milieu de vie.

Sylvain Cabot tisse patiemment les liens entre les personnages, et l’empreinte du quotidien dans la succession des scènes, parfois par des plans qui occupent la pleine page, impose une lenteur dans la lecture de l’album. L’auteur met à profit le décor de la banlieue française sans le surcharger, et ce dépouillement fait valoir le délicat déploiement des émotions des personnages, entre l’immeuble à logements où vit Michel et le salon de coiffure. Il suffit parfois de l’esquisse d’un sourire pour deviner une tendresse dissimulée, ou alors d’un changement dans les couleurs pour évoquer un sentiment de honte; dans tous les cas, les émotions se transmettent finement aux lecteurs et lectrices. L’auteur utilise ces procédés avec subtilité pour agencer l’évolution psychologique de différents personnages. Si certains d’entre eux n’apparaissent que brièvement dans l’album, leur humanité demeure efficacement mise à nue par l’auteur.

Timidité, sexualité et masculinité

Le travail de Sylvain Cabot met en valeur la sensibilité du personnage principal, en quête (non sans peines ni heurts) d’une définition de la masculinité en dehors de stéréotypes nocifs. L’auteur aborde la question des complexes au masculin en traitant du regard de Michel sur son propre corps, sans escamoter ses défauts et les erreurs qu’il commet dans son parcours. Sans être un anti-héros, Michel n’est pas pour autant une figure lisse qui ne laisserait transparaître que de nobles sentiments, par exemple lorsqu’il s’intéresse à Sonia parce qu’elle est la cible de rumeurs dégradantes que des gars propagent pour «maintenir» leur réputation. Sylvain Cabot saisit plutôt ce phénomène, malheureusement répandu, pour donner la parole à la jeune femme stigmatisée.

Timide et mal à l’aise, à la fois curieux et craintif devant la découverte de la sexualité, Michel va apprendre de l’exemple des femmes qui l’entourent, de la sensuelle Carole, qui n’a peur de rien, à Marielle, qui fait sien le désir d’être complètement elle-même. Ici, Sylvain Cabot a évité un piège certain, car les personnages féminins n’apparaissent pas que pour servir l’évolution du protagoniste masculin dans le récit. En parallèle à Michel, qui cherche à s’approprier sa masculinité, les personnages féminins constellent le récit de leurs propres enjeux face à leur sexualité ainsi qu’aux conséquences des biais sexistes qu’ils subissent, biais auxquels Michel n’est pas confronté.

Avec ce premier album, Sylvain Cabot montre qu’il est possible de sonder la construction de la masculinité avec douceur et délicatesse, dans une esthétique qui répond à une exploration introspective, avec ses flous, ses hasards et ses maladresses. Si le parcours initiatique du jeune Michel file le récit, Sylvain Cabot n’a pas omis de le mettre adroitement en perspective.

De quoi se rincer l’œil. ♦

Auteur·e·s
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Sylvain Cabot
Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon
2019, 128 p., 29.95 $