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Spunkt not dead

Éclectique, visuellement impeccable, Spunkt Art Now est un objet à part qui se veut également une performance livresque.

Beau livre

Éclectique, visuellement impeccable, Spunkt Art Now est un objet à part qui se veut également une performance livresque.

D’un noir ténèbres, la publication de grande envergure, à la fonte aussi fine qu’un plumage rare, couvre l’entièreté d’un bureau une fois déployée. Spunkt Art Now, comme le précédent opus dirigé par l’artiste Sébastien Pesot (Post-Punk Art Now, qui a remporté le Grand Prix Grafika 2017 – catégorie Livre), «explore les vestiges du mouvement punk dans les pratiques en art contemporain, […] au contenu à la fois littéraire et graphique, dans un format entre le catalogue et l’installation1.». Surdimensionné, arborant une reliure de type journal, l’objet est paru pratiquement de manière synchrone avec l’exposition du même titre à la Maison de la culture Janine-Sutto. L’ouvrage rassemble une dizaine d’artistes, de performeur·ses et d’écrivain·es qui réfléchissent à leur esthétique et à leur pratique par le prisme du néologisme «spunkt», dont les racines sont multiples: il est issu du mot anglais «spunk», qui signifie avoir du cœur et du cran; du terme allemand «punkt», qui renvoie aux concepts de point d’équilibre, de point dans le temps, de point de rencontre; enfin, de «punk», mouvement contre-culturel ayant laissé une empreinte connotée dans l’imaginaire collectif et influencé, d’après Pesot, l’art actuel. Spunkt Art Now est néanmoins très éloigné des lieux communs du punk tant sur les plans formel, esthétique et idéologique. Il en conserve plutôt l’énergie ou, selon l’auteur Greil Marcus parlant du mouvement Dada, il pourrait se résumer à ces trois mots: possibilité, imprévisibilité, surprise.

Dans ta face

En ouverture sur la page de gauche, les couleurs vives d’une œuvre d’Arturo Vega dans laquelle on déchiffre, lettre par lettre, comme un enfant apprenant à lire le monde qui le verra grandir, les mots «I d i o t B a s t a r d». Le ton est donné! Le tout est suivi d’une généreuse double page représentant trois jeunes femmes échevelées, la bouche en sang, et gisant dans un chaos de détritus. Pensons aussi à l’image d’Ash Thayer: il s’agit de la vue de face d’une cuisine domestique qui ferait frémir de colère Gordon Ramsay, tant elle est souillée d’immondices. Moins frontale, mais pas moins efficace, une photographie contrastée de jaune et de violet, de Meky Ottawa, met en scène deux femmes des Premières Nations, l’une envoyant un regard complice à la caméra tout en offrant à sa consœur un miroir couvert de cocaïne. L’ouvrage est généreux en raison du nombre de reproductions des œuvres retenues et de leurs dimensions. Il n’est pas rare qu’on éprouve le désir d’amputer le livre d’une page afin de la punaiser au mur. En tête, les toiles de Brett de Palma, ce Van Gogh qui aurait trop écouté The Exploited. Tous les éléments visuels sont présentés sans explication ni appendice essayistique, comme des gestes vifs et purs. Sommes-nous parfois perdu·es comme lecteur·rices? Absolument. Est-ce que c’est grave? Pas du tout. Voilà un ovni aux œuvres variées, insolentes, violentes, dures et belles.

Plus libre que jamais

Bien que tous les textes n’aient pas la même force de frappe et ne prennent pas leur envol de la même façon, l’ensemble demeure éloquent. Si l’espace accordé à certain·es s’avère parfois insuffisant pour qu’ielles développent une pensée plus vaste et complète, l’écriture très performative de chacun·e apporte en revanche une parole dénuée de complexes, scandée comme un chant de résistance «entre le réalisme d’Oliver Twist et l’évasion de Peter Pan», pour reprendre les termes de Marie Arleth Skov dans le présent ouvrage. Encore que l’analyse concise de l’artiste et l’historique qu’elle nous propose, du groupe punk Crass aux Pussy Riot, soient brillants. Par ailleurs, le poème de Maude Veilleux, dans lequel le vers cède le pas à une réflexion sur la lutte des classes et l’esthétique trash – dont on a pu (trop facilement peut-être) affubler le travail de l’autrice –,
est percutant et efficace.

Les visées de Spunkt Art Now sont de considérer le mouvement punk comme un «lieu du paroxysme de la contre-culture», de s’approprier son langage, ses codes, et de l’instituer en une «prise de parole qui permet de prendre position et d’occuper un territoire esthétique». Le spunkt devient une bulle de résistance qui en crée d’autres, utilisant pour ce faire le véhicule de l’art actuel et performatif, afin de proposer ultimement un «outil de combat social et conceptuel». Peut-on espérer, comme le souligne Louis Rastelli dans son texte, la naissance d’un cynisme sain qui ne nous immobiliserait plus dans notre confort et notre indifférence, mais qui nous projetterait, façon spunkt, c’est-à-dire avec détermination, vers notre point de rencontre avec le XXIe siècle?

  • 1. Citation extraite du fil de nouvelles du site de la Faculté de lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke [usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/facultes/lettres-et-sciences-humaines/flsh-details/article/34090].
Auteur·e·s
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Sébastien Pesot
Sherbrooke, Sébastien Pesot
2020, 43 p., 35.95 $