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Seule avec nous autres

Avec son quatrième recueil – le premier qu’elle publie au Quartanier –, la poète Marie-Ève Comtois nous offre son œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie.

Poésie

Avec son quatrième recueil – le premier qu’elle publie au Quartanier –, la poète Marie-Ève Comtois nous offre son œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie.

Je vieillis. Dans mon cas, vieillir vient avec des jeux de mots nuls, un amour pour le rock des années 1970 et une inquiétude diffuse envers l’avenir. Une affection aussi pour les choses simples et précieuses, comme l’enthousiasme d’un chien, le réconfort d’une boisson chaude et les livres de Marie-Ève Comtois. Quel plaisir de la retrouver, elle! Et de la lire surtout, le soir, dans la chaise berçante dont l’accoudoir chancelant n’a jamais été réparé. Je sais que la vie est trop courte pour la perdre à faire semblant de savoir ce que je fais. Je me concentre plutôt sur l’essentiel, comme La consolatrice des affligés, le nouveau recueil de la poète originaire de Saint-Hyacinthe.

Inconfortablement dégourdie

Comment expliquer l’art de l’autrice de Je te trouve belle mon homme (Écrits des Forges, 2012)? Comtois approfondit depuis quatre recueils une esthétique qui dépeint avec ironie et tendresse l’agitation du sujet hypermoderne. Son écriture fonctionne par disjonctions. Le grave côtoie le léger, le banal succède à l’exotique dans une valse constante entre les contraires. Le mouvement ainsi créé reproduit le fourmillement qui tient aujourd’hui lieu de conscience à plusieurs d’entre nous:

je manque beaucoup de rendez-vous
pendant que ma pirogue
file sur le delta
les rhinocéros
les éléphants sont
partis ailleurs
il n’y a plus rien à manger

La poésie de Comtois est l’exact opposé de la pleine conscience, de la sérénité dans l’immobilité, qu’il est possible d’atteindre à force de méditation. Bien qu’elle revendique l’influence des surréalistes, l’autrice de Windex de Narcisse (2007) ne cherche pas l’image rare qui déboucherait sur le nirvana poétique. La Montréalaise s’astreint plutôt au quotidien le plus ordinaire:

je suis incapable de sortir
si le four est allumé
c’est bon
j’ai vérifié
j’ai ouvert la fenêtre
et le chat s’est enfui
dans le corridor
plus rien n’a de sens

Comme le mentionne la quatrième de couverture, Comtois «crée du sens avec ce qui ne semble pas en avoir». C’est ce parti pris pour la vérité et la proximité qui me séduit le plus dans ses poèmes. L’identification est immédiate.

Un pont jeté au-dessus des eaux troubles

La consolatrice des affligés, on le devine par son titre, n’est pas un livre joyeux. Il s’agit d’un long poème de cent vingt-cinq pages qui retrace une année de solitude et d’ennui «en congé de l’hôpital». Les vers courts et dépouillés saturent les pages, figurant l’enfermement de la poète dans ses pensées, réfractées par la banalité de la routine. L’écrivaine rumine, essaie d’apaiser son malaise, tente d’y échapper, mais sans succès. On est loin de la légèreté joueuse de Roucouler comme des raisins sauvages (Écrits des Forges, 2016), son précédent recueil. En fait, la démarche de Comtois ressemble à celle de Maggie Roussel, telle qu’elle se déploie dans son livre Les occidentales (Le Quartanier, 2010). Alors que cette dernière montre l’aliénation latente de notre monde en dressant une liste de défaites, la première consigne ses échecs in medias res, au fur et à mesure de leur apparition, dans le piétinement d’une existence sans épiphanie ni libération.

Tout cela pour dire que La consolatrice des affligés est formellement et thématiquement casse-gueule. La prémisse est déprimante; le traitement, étouffant. Pourtant, il m’a été difficile de déposer le recueil. Je suis sorti vivifié de ma lecture. Pour bien expliquer cette étrange réussite, je dois faire un détour par l’univers d’Harry Potter. Les fans se rappelleront que le sorcier maléfique Voldemort, pour parvenir à l’immortalité, répartit dans sept… euh… réceptacles, sept «Horcruxes», sa substance vitale. Or, la proximité avec l’un de ces objets fait ressentir aux personnages la présence de «Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom», comme s’il était à côté d’eux. C’est ce que j’ai éprouvé à la lecture de La consolatrice des affligés. J’ai entendu la voix de Comtois. Sa bienveillance m’a touché. Sans apprêt, sans artifice, la poète a mis une partie de sa vie dans ce livre. La lire, c’est l’entendre dire: «Tu vois, tu n’es pas tout seul.» En ces temps de distanciation sociale, c’est beaucoup.

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Marie-Ève Comtois
Montréal, Le Quartanier
2021, 136 p., 19.95 $