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Sens et sensibilités

Pour appréhender le sujet de la guérison, Catherine Ocelot s’intéresse à ,, aux plantes araignées et à de petits bols en céramique.

Bande dessinée

Pour appréhender le sujet de la guérison, Catherine Ocelot s’intéresse à ,, aux plantes araignées et à de petits bols en céramique.

Qui n’a jamais, à pas d’heure dans la nuit, fait défiler les résultats d’une recherche de symptômes dans son navigateur sans pouvoir s’arrêter? Pris sa température à maintes reprises dans la même journée? Ne s’est jamais tâtonné ganglions, seins, testicules (alouette!) dans la quête angoissante d’une enflure, d’une décoloration, d’une quelconque raison pour expliquer son mal-être? Surtout, qui n’a jamais été seul·e au moins une fois dans sa vie?

À la solitude, à l’hypocondrie et aux autres douleurs inexpliquées, Catherine Ocelot tend l’oreille, fait de la place, cherche à les comprendre. Au lieu de les considérer comme des problèmes à régler, l’autrice choisit, dans son album Symptômes, de décortiquer ce qu’implique la souffrance chronique, qu’elle soit physique ou psychologique, pour les personnes qui la subissent et vivent avec son stigmate. Car les personnes souffrantes demeurent souvent incomprises, culpabilisées, voire laissées sans diagnostic; ici, l’artiste leur offre l’occasion de se reconnaître dans une communauté, en explorant son propre rapport à la douleur et à l’idée de guérison.

S’approcher de la blessure

L’univers d’Ocelot, teinté d’onirisme, se caractérise par son humour absurde, ses questionnements existentiels et, depuis La vie d’artiste (Mécanique générale, 2018), sa démarche de journalisme littéraire. Dans Symptômes, elle revisite ce qui est tenu comme insignifiant – le besoin de raconter un rêve, par exemple – et met à mal notre définition de la rationalité, avec son Laboratoire des rêves et des cauchemars, où chacun·e peut venir déposer son rêve et être écouté·e par un·e spécialiste. L’autrice propose une vision holistique du monde, dans laquelle s’entremêlent la détresse psychologique et la souffrance physique, et elle ne prend parti pour aucune médecine en particulier.

Car la question, pour Ocelot, ne concerne pas le choix d’un remède universel ou d’une solution miracle qui réglerait le sort de la souffrance, mais bien le rapport sensible que chacun·e entretient avec sa propre douleur. Pour y réfléchir, l’artiste considère ce qui est en apparence anodin, mais qui s’accumule et se transforme en stress quotidien – le vieillissement de ses parents, son historique médical, le besoin de recourir à des figures rassurantes –, pour mieux comprendre la construction de nos affects ainsi que leur importance sur notre psyché. L’album présente, comme un flux de pensées, la trajectoire de la narratrice et des membres de son groupe de soutien fictif, les Solitudes Anonymes. À l’image d’une courtepointe, qui nourrit d’ailleurs le récit sur le plan métaphorique, différentes saynètes ainsi qu’une diversité de prises sur le sujet, habilement arrimées à la trame narrative et graphique, se succèdent. En se racontant leurs histoires douces-amères, les personnages tentent de mieux accueillir ce qui les rassure et les fragilise.

En chœur sororal

La souffrance que peut impliquer la solitude, mais aussi le besoin de créer des liens ne peuvent être dissociés des problèmes de communication, sujet de prédilection dans toutes les œuvres d’Ocelot. L’autrice s’attaque à une certaine attitude du corps médical, qui souvent accorde très peu de temps et d’attention à la parole des patient·es, et à l’injonction à la positivité, qui pousse à camoufler sa détresse. Dans Symptômes, cette critique est associée au concept féministe du care, qui nomme la fonction sociale du soin, autrement invisibilisée, car féminisée.

En réponse à la dévalorisation du care, Ocelot s’approprie la figure maternelle en la déclinant sous différentes apparitions. Le récit met en parallèle le parcours de la protagoniste et celui d’une femme âgée, Mireille Gariépy, la plus récente membre des Solitudes Anonymes. Puis la narratrice, à la suggestion de sa psy, se met en quête d’une «mère intérieure». Elle hésite entre plusieurs candidates, de Patti Smith à quelques figures archétypales, et finit par arrêter son choix sur Björk, avant de s’apercevoir, hélas, qu’elle ne comprend pas l’islandais, comme ironiquement trahie par la langue maternelle.

La question de la guérison, Ocelot l’aborde avec bienveillance et humour, tout comme notre rapport au monde. Sur le plan graphique, cette posture se traduit par une esthétique écoféministe: la nature, qu’elle soit urbaine, domestique ou idéalisée dans un rêve, ramène à la responsabilité du soin, à l’adoption d’une attitude altruiste. Je pense entre autres à l’imagerie des plantes en pots, omniprésente tout au long de l’œuvre, qui permet de représenter le soin de manière plus universelle et moins genrée, mais aussi au maniement de la case en alternance avec des pages pleines; une proposition graphique grâce à laquelle Ocelot repense le rapport à l’espace.

Sans ambages, et avec une remarquable fluidité, Symptômes met en mots et en images une sensation autrement difficile à raconter: le réconfort d’être enfin vu·e et entendu·e.

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Article au format PDF
Catherine Ocelot
Montréal, Pow Pow
2022, 288 p., 39.95 $