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(sans titre)

Poésie
Photo : Alain LefortPhoto : Alain Lefort

 

À Charles Koroneho

J’ai marché partout
J’ai fouillé les collines
J’ai vidé les cratères
Je n’ai pas compris pourquoi
J’ai rempli le creux des lacs asséchés
Avec nos larmes, avec nos rêves
On ne m’a pas dit pourquoi
On m’a pris celui que j’aime

Au creux des vagues, les rochers en mer
Attendent encore que nous venions saluer les rivages
Revenir au sel des clivages, porter à notre bouche
Le goût des océans, le sel de l’univers
Ils nous aimaient jusqu’au fond des abysses
Et lorsque nous marchions côte à côte
En mon sein renaissaient les volcans du monde
Sous la mer, sur terre et les côtes
S’engouffraient au fond de mes abîmes

Entre lui et moi
La terre tremble
Les ondes pleurent avec nous
L’exil n’est pas pour nous
Entre toi et moi
Je tremble
Le monde entier était à nous

L’âme que j’aime
Traversait les océans et les îles
Il m’aimait parmi les bourgeons du mois de mai
Il m’embrassait sous les pluies de juin
Et juillet le couronnait de lumière
Il écoutait le chant des ruines, que je chantais
Laissées par les humains d’avant
Et nous liions ensemble les continents et les soleils

Personne n’aura raison de nous
Personne n’aura raison du soleil
Personne n’aura raison de l’océan
Personne ne sait toucher à notre lumière
Personne ne peut éteindre notre lueur

On m’a volé mon ami, on m’a volé mon amant
On a fermé les portes de la ville, on a fermé les frontières
    du pays
Je me soulève, les vents m’emportent par-delà les
    barrières
Je renverse les institutions, j’efface les aéroports
Mon amour ne peut passer les entrées principales
Mon amour n’est pas admis aux passages officiels
Parce qu’il est de la terre, parce qu’il est l’autre des autres
Je renverse les douanes, j’efface les frontières
J’efface la mémoire de celui ou de celle
Qui fait la différence entre moi et les autres

L’exil n’est pas pour nous
Mon ami, mon amant sera de retour
Sur les ailes des monarques
Sur les ailes des outardes
Il traversera les océans et les îles
Il trouvera un continent – moi –
Aucun soldat ne le verra arriver
Aucun douanier ne prendra ses papiers

Parce que, comme moi, il est un fils de la terre
Et lorsqu’il entre en moi, cette terre l’accueille
Nin u Innushkueu, He Maori Ahau
Les nations du monde se retrouvent en nous réunis
Les Anciens peuvent dormir, nos enfants peuvent naître
Nous lions ensemble les continents et les soleils
Les humains d’avant, les pluies de juin et la lumière
De juillet.
Mars et Novembre s’élancent ensemble
Dans une danse
Inédite
Auparavant interdite
Aujourd’hui, libre

Personne n’aura raison de nous
Personne n’aura raison du soleil
Personne n’aura raison de l’océan
Personne ne sait toucher à notre lumière
Personne ne peut éteindre notre lueur

Pour son retour
Je replante les forêts, je redresse les falaises
Il m’épousera au milieu des ruines
Il m’aimera parmi les bourgeons du mois de mai
Il m’embrassera sous les pluies de juin
Et juillet le couronnera de lumière
On m’avait pris mon ami, on m’avait pris mon amant
Ma parole et mon imaginaire
J’ai renversé le visage des gouvernements
J’ai effacé la route aux pétroliers
Ces édifices, tous ces gratte-ciel
Tout est devenu poussière, tout disparaîtra
Tout s’engouffre en moi

Mon ami, mon amant
Pour son retour
Je reprends notre histoire, je reprends ce continent
Je reprends les couleurs de mes villages
Je replante les forêts, je redresse les falaises
Pour son retour
Mon ami mon amant
Il m’épouse au milieu des tentes nouvelles
Nos couronnes sont des fleurs du mois de novembre
Nous nous embrassons sous les pluies de décembre
Et janvier nous fera fils et fille du soleil
Je reprends les couleurs de nos visages
Je nous habille du feuillage de nos mémoires
Et nous donnerons vie à notre cérémonie
Nos amours seront fécondes
Nous nourrirons nos peuples
De miel et de nectar de shikuteu, de l’inniminan, de l’ikuta
Nous les soignerons avec le kawakawa, le harakeke et le
    manuka
Nous irons cueillir les médecines à mains nues
Et nous les abreuverons avec l’eau pure de nos
    montagnes
Des bassins d’eau douce et des fleuves

Nous redonnerons souffles au continent, aux forêts et
    aux falaises

Personne n’aura raison de nous
Personne n’aura raison du soleil
Personne n’aura raison de l’océan
Personne ne sait toucher à notre lumière
Personne ne peut éteindre notre lueur.

Te Pou Te pou

Te tokotoko i whenuku

Te tokotoko i wherangi

Tokia  Tukia

Kaea : Ko te mumu Ko te awha
Ko te mumu Ko te awha

Ko te manihi kai ota

Takiri panapana

Ka rau i runga Ka rau i raro

Ka whai tamore i runga, ka whai tamore i raro

Kaea : Tena ko te Pou

Tena ko te pou

Te Pou o Rongo, no Rongo Mauri ora

Ka o a e  e1.

 


Natasha Kanapé Fontaine est originaire de Pessamit sur la Côte- Nord. On a d’abord découvert sa voix à travers sa poésie, avec N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Manifeste Assi, Bleuets et abricots et Nanimissuat Île tonnerre, tous publiés aux éditions Mémoire d’encrier. Elle cosignait en 2016 l’essai épistolaire Kuei je te salue : conversation sur le racisme (Écosociété, 2016), avec Deni Ellis Béchard. À l’automne 2021 paraissait Nauetakuan, un silence pour un bruit, son premier roman, aux éditions XYZ.

  • 1. « Les supports, la subsistance / La provision/protection de Papatuanuku / L’approvisionnement/la protection d’en haut (Ranginui) / Les ravages et les attaques / Que ce soit par le vent et la tempête / Par le vent et la tempête / Arrachées et éparpillées / Ici gisent les récoltes arrachées / Cueillies d’en haut, cueillies de la terre / Cherchez ce qui est bien enraciné d’en haut et de la terre / C’est le soutien / Le soutien de Rongo, du bien-être de Rongo / De l’O et de l’A ».
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