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Poésie
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Crédit : Alain LefortPhoto : Alain Lefort

 

La morte épanouie dévale parmi ses semblables.
C’est une petite chose, écrite et palpable qui avale
et prie loin devant les autels : engraisse, maigrit
et stagne. Ses ailes détachées absorbent le mot
sang, répètent le mot mère, lessivent les fausses
dents. Toutes les nuits on lui recrache qu’elle est
belle depuis la cave où ça parle. On dirait qu’elle
rit avec ses yeux d’épines trempées dans l’éternel,
déviés de leur axe, qui s’envolent et se plantent
dans les fosses trahies. Les bas-fonds la révèlent
en liesse. C’est une vitrine en feu moins ses alliés.

Son espoir s’affaiblit, c’est une souris prématurée,
un pissenlit tremblant dans le carré noir d’aimer.
Les folles s’entassent dans sa génétique, on la prie
de fournir le laissez-passer pour la prochaine pipe,
la première danse, le baiser à finir. Passent encore
l’ère du temps et l’alcool à cuver, tard trop tard,
elle fait corps avec l’australopithèque d’espoir et
le sang qu’elle recrache est opaque. Ses matamores
la supplient de ne pas faiblir, mais son lit est fait et
tous ses bébés manquent d’air ou d’auréoles alors
elle vole : les cris, la banderole et la bibliothèque.

Ras le sol elle s’efforce d’ébruiter les cendres,
mi bémol mineure dans l’eau forte des voix. Elle
se renie, trébuchant sur l’or des ventres d’amorce,
grands trop grands. Le ciel aimé tombe mal et rate
toujours le centre. Soleil n’est pas levé, il brûle à
contresens. Elle plie se déplie en abeille immense,
aura congénitale depuis la cave où les choses sont
ainsi, vieilles ou trop démentes pour êtres écrites en
prose. Les tics veillent jour et nuit sur sa descendance,
or le miel a pourri. Elle vend ses forces à même le bruit
des ailes fracassées au fond du pot. En insecte qui pense.

Le corps des lucioles s’étire en trois parties : tête,
thorax, abdomen. Ainsi croît la terre et tels sont
ses petits, offerts au vent volé. Ça saigne trop fort
en haut, on s’examine la sueur au milieu, les lois
du sous-sol déterrent la petite veine, les choses
précieuses. C’est l’eau des taxes noires, celle qui
se nourrit de la peine et rebaptise les feux éteints,
celle qui retourne la terre à faire vomir les hyènes
endormies. Sous les ombres ça parle jour et nuit,
sexes de foire cousus à l’église des portes ouvertes
et la bombe du grand rien à redire. La morte dit :

fâchée je ne suis pas assez forte,
mes billes sont déterrées ;
triste on me reproche de
chérir la peur. En vérité
si mon cœur bat c’est
pour nourrir la hache
plongée en son centre. ♦

 


Kim Doré est née à Montréal en 1979, elle détient un diplôme de maîtrise en Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Autrice de quatre recueils de poésie, dont Le rayonnement des corps noirs (prix Emile-Nelligan 2004), elle a fondé et codirige depuis quinze ans les éditions Poètes de brousse, consacrées à la poésie contemporaine et à l’essai.

Alain Lefort est photographe et portraitiste. Il collabore régulièrement à LQ. [alainlefort.com]

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