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Saisons mortes

Avec cette publication, la Galerie de l’UQAM peine à susciter en nous une réelle passion pour le travail d’une artiste pourtant incontournable.

Thématique·s
Beau livre

Avec cette publication, la Galerie de l’UQAM peine à susciter en nous une réelle passion pour le travail d’une artiste pourtant incontournable.

Thématique·s

Lors de caniculaires journées d’été, l’éclair parfois se montre. Sans pour autant fendre les nuages dont l’eau rafraîchirait le paysage, ce type d’éclair foudroie un bref instant l’œil, lui donne un peu de lumière, mais ne nous libère en rien de la chaleur suffocante des jours. C’est à ce phénomène que je pense lorsque, ouvert sur ma table de travail, Trajectoires resplendissantes — catalogue de l’exposition ayant eu lieu à la galerie de l’UQAM au tout début de l’année 2017 — me donne à voir l’œuvre et le parcours d’une doyenne de l’art québécois, Françoise Sullivan.

L’espace livre

Claires et grandes sont les intentions de la Galerie de l’UQAM et de sa commissaire, Louise Déry, qui, sans jouer la carte de la rétrospective, tentent dans ce commissariat d’assembler-rassembler le travail d’une artiste qui «nous convie à cette relation vitale entre l’œuvre, la mémoire et le monde qui nous entoure» selon le site internet du distributeur (abcartbookscanada.com). Pourtant, si la réputation de l’artiste presque centenaire et de la doctoresse nourrit l’admiration et l’enthousiasme, l’objet ne repaît en rien son lecteur. Il renforce plutôt notre doute quant à l’intérêt d’un tel projet, car si «l’exposition est une mise au présent» (Louise Déry), qu’en est-il du catalogue ou de la monographie qui l’accompagnent? Doivent-ils représenter un présent figé, un simple état des lieux, ou nous propulser hors du temps? La publication doit-elle soumettre à notre regard ce qui se dérobe après le temps éphémère d’une exposition? En somme, que peut nous offrir de plus le livre s’il n’est pas «théâtre du rêve» (Alain Jugnon, Folie et poésie, Lignes, 2018)?

Dans cette immense volonté de connecter «les réalités composites qui constituent l’univers de Françoise Sullivan» pour en faire un «lieu» autre que celui de l’exposition, je ne suis pas tout à fait de l’avis de Déry, à savoir qu’il faut renoncer à beaucoup de choses. J’ose penser qu’une mise en contexte historique et sociale — ici défaillante, au mieux insuffisante — même si elle n’est plus à faire, nous aurait permis de comprendre de manière plus satisfaisante les nombreux points de connexion de l’œuvre et de son apport à l’art conceptuel actuel. Comment «fau[drait]-il fermer les yeux un moment et essayer d’imaginer, entre les lignes du texte, l’ensemble des réalisations qui jalonnent la carrière de l’artiste» (Louise Déry)?

Au premier abord, d’un point de vue purement visuel, le livre semble respecter les exigences de qualité auxquelles la galerie nous a habitués jusqu’alors. En effet, sa facture est sobre et élégante. La couverture, réunissant deux portraits, l’un d’un jeune garçon de la Renaissance et un autre capté à notre époque, a le don d’intriguer et offre de belles promesses. Les cinq parties du catalogue sont entrecoupées de photographies de l’interprétation par Françoise Sullivan de l’instruction chorégraphique de Paul-André Fortier Empreintes. Chaque pose diffuse dans l’ouvrage une touche poétique, éthérée, qui sort du cadre exclusivement expositionnel. Les reproductions de quelques pages des livres d’artiste Danse dans la neige et Les saisons Sullivan sont dotées d’une puissance tangible et bien que les photos ne soient pas parfaites, leurs lignes émeuvent et permettent de s’imprégner réellement du travail de l’artiste, d’être gagné par l’inventivité de sa démarche.

L’objet déçoit néanmoins. Le visuel qui documente l’événement est prosaïque et ne s’avère qu’un plat copier-coller dont on sort quelque peu endormi. Comment être soufflé par la liturgie verbale de la chorégraphie Je parle, quand le témoignage ne se réduit qu’à une poignée d’images qui n’évoque en rien «les yeux du loup» ou «le lion dans la lune» (extraits du poème de Françoise Sullivan Je parle). Au bout du compte, manquent le soupçon de magie, d’étrangeté maligne et le petit rien d’ironie qui permettraient de sentir l’énergie créatrice qui, comme les vagues de chaleur sur le bitume ardent, émane de ces trajectoires. Étant dédié à une signataire du Refus Global, dont la marche libératrice est si évocatrice, le tout demeure trop sage. S’il restait un espoir d’illuminations, il se trouverait dans les textes de l’artiste (pour la plupart inédits) qui auraient eu le pouvoir de tout racheter. Il n’en est rien. Inégaux, ils ne présentent pas tous le même intérêt. Seuls quelques textes trouvent leur chemin jusqu’à nous en faisant acte d’une façon singulière «de penser et de se penser dans l’art et par l’art».

S’il demeure quelque chose de resplendissant dans ce livre, c’est la grâce et la force de Françoise Sullivan qui, du haut de ses quatre-vingt-douze ans, «se rend travailler tous les jours dans l’atelier». Dommage que le travail mené appesantisse le fond de l’air et, sans nécessairement nous étouffer, nous prive du peu d’oxygène nécessaire pour danser et puis s’envoler. ♦

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Article au format PDF
Louise Déry, Françoise Sullivan
Montréal, Galerie de l'UQAM
2017, 240 p., 40.00 $