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Après avoir fait carrière en éducation à Montréal, Hélène Poirier a réintégré sa Gaspésie natale. Dans un village de la baie des Chaleurs, elle habite une grande maison où elle transforme en poésie ses émotions de mère.

Poésie

Après avoir fait carrière en éducation à Montréal, Hélène Poirier a réintégré sa Gaspésie natale. Dans un village de la baie des Chaleurs, elle habite une grande maison où elle transforme en poésie ses émotions de mère.

Dans cette région, d’autres femmes de sa génération (France Cayouette et Joanne Morency, notamment) s’adonnent depuis longtemps à la forme plutôt courte d’une poésie intimiste. Le livre d’Hélène Poirier, dont la belle œuvre de couverture, signée Christine Campeau, n’est pas sans rappeler l’Hommage à Rosa Luxembourg de Riopelle, porte un titre évocateur et plein de promesses.

Divisé en deux sections de longueurs inégales et qui s’entre-croisent, l’une en vers et l’autre en prose, le projet se consacre à deux aspects distincts de la vie: d’abord il y a l’imaginaire d’une femme au plus près d’elle-même et de ses émotions; puis il y a les voyages en solitaire — plus précisément des séjours au Mexique et à Barcelone. Mais voilà, La maison suspendue est en réalité le livre de l’absence: partout il manque un être jugé essentiel au bonheur.

Le poème du fils en allé

Cela se présente comme une «ode à la maternité», et les textes de ce premier livre de poésie d’Hélène Poirier reflètent l’univers intérieur de la femme et de la mère. Dans un monde de publications où le lien filial qu’on célèbre est presque toujours celui qu’éprouvent les auteurs envers leurs géniteurs, l’inverse est assez rare. Cependant, les marqueurs poétiques de cette relation sont discrets, et c’est dans le tutoiement qu’on trouve finalement la présence d’un «personnage» dont on ignore ce qu’il est devenu. Le garçon est le grand absent de ces journées passées à débusquer «l’heure avancée / de [son] ombre». La poète elle-même semble mal connaître la vie de celui auquel elle s’adresse: «Je me demande si tu as poursuivi tes études en graphisme». On s’interroge sur une telle ignorance: puisque l’amour du fils est tout le sujet du livre, comment la mère peut-elle méconnaître de si grands pans d’une vie qu’elle a engendrée? Le lecteur se retrouve en mal de précisions; mais la poésie est peut-être précisément ce vers quoi on se tourne quand on veut rester dans le flou et le non-dit. L’hermétisme et le secret sont souvent le défaut — ou la qualité? — des premiers livres de poèmes. On veut tout dire et ne rien dire, on enrobe, on prend mille détours, on écrit «à côté» de son sujet, on aimerait que le non-sens soit préférable à trop de sens. «Au bord des arrivées / il est toujours temps / de glisser entre deux déraisons».

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À travers ce petit dédale de secrets et de déceptions relationnelles, surgit de loin en loin une page relatant le séjour de la poète dans un village du Mexique ou à Barcelone. Ici, dans le quotidien de l’auteure, et par-delà la beauté du pays, c’est encore la mémoire qui règne. «Je me rappelle chaque étape de ta naissance. C’était mon commencement du monde.»

Une chose est certaine, la mère espère encore que le fils donne des nouvelles: «Ma boîte vocale est toujours vide de toi». Mais lequel des deux devrait corriger son attitude? finit-on par se demander. Est-ce la mère qui en demande trop ou le fils qui n’en donne vraiment pas assez? Que s’est-il passé qui justifie un si grand éloignement? Le livre ne semble pas vouloir répondre à ce genre de questions, et la poète en est réduite à voir le fils s’inscrire partout sur le paysage:

Hier, mon cœur a cessé de battre un instant. J’ai vu la silhouette d’un homme blanc d’un mètre quatre-vingts. J’ai aperçu ta frange châtaine. Pourtant, je n’ai aucun indice de l’endroit où tu te trouves. Amis et ombres ne savent rien. Cela, je le sais.

Le mystère poétique est un droit absolu. Par une écriture toute en retenue et en discrétion, Hélène Poirier entre dans la société des poètes sans faire de vague, sans fracas. Son écriture, pleine de nuances et de finesse, ne cherche pas à révolutionner le paysage littéraire, mais plutôt à exprimer le sentiment d’une femme arrivée au carrefour d’une vie encore bien remplie, une vie qui s’étire désormais ainsi qu’une plage de sens qu’il lui reste à déchiffrer.♦

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Hélène Poirier
Ottawa, David
coll. « Voix intérieures »
2017, 94 p., 17.95 $