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Résurrection fauve

Huit ans après Les armes à penser (L’Oie de Cravan, 2012), Shawn Cotton, dans La révolution permanente, fouille la blessure du deuil avec tendresse et mélancolie.

Thématique·s
Poésie

Huit ans après Les armes à penser (L’Oie de Cravan, 2012), Shawn Cotton, dans La révolution permanente, fouille la blessure du deuil avec tendresse et mélancolie.

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Où était-il passé, l’écrivain qui lisait naguère ses poèmes à Radio-Canada? Le gars qui enflammait les lectures publiques avec son parti pris pour le dérèglement des sens? Le performeur/musicien/oiseau de nuit/amoureux/révolutionnaire aux mille jobines? Depuis son recueil à L’Oie de Cravan, je l’avais perdu de vue. Je me suis dit: il a fait comme Rimbaud, il a abandonné la littérature pour devenir trafiquant. Mais la notice biographique présentée en troisième de couverture de La révolution permanente m’a détrompé: Shawn Cotton a fait de la musique, joué au hockey cosom, voyagé, travaillé en librairie. Et surtout – peut-être est-ce plus pertinent pour nous –, il porte le deuil de son amoureuse.

En équilibre dans le vide

Le dernier recueil de l’auteur évoque la disparition de l’aimée dès le premier poème, mis en exergue:

Ils l’ont fermée la mer
deux amoureux pâlissent
sous les rayons
de leurs premiers baisers
ils ne sont plus faits
que de la poussière des fois

La blessure est significative parce que l’amour a un caractère fondateur pour le poète. Il alimente sa révolte, fouette son désir de changement. Dans Les armes à penser, Cotton l’écrivait explicitement:

J’ai compris que la première révolution
est de faire trembler le corps de celle [que j’aime

Or, la mort prive son entreprise scripturaire – pour ne pas dire sa vie – de son centre. Désormais, c’est l’absence de l’amoureuse qui prendra toute la place:

tu es morte maintenant      nouvelle ère     [de glace
et dans la remise des boîtes pleines de [toi
autour le sol s’affaisse de plusieurs [mètres
et j’enveloppe ton ombre dans le [chauffage
ouvert pour la première fois

«[E]t comment oublier?/cet os de joue partagé», s’interroge le poète. La révolution permanente décline les thèmes propres à la tradition élégiaque qui nomment l’engourdissement de la joie de vivre, tels que le froid, les fantômes, l’ombre. L’œuvre met en valeur une facette plus intime du travail de l’auteur de Jonquière LSD (L’Écrou, 2010). L’introspection l’emporte souvent sur la déclamation, tandis que Cotton revisite ses souvenirs en s’adressant à la femme aimée sur un ton lyrique familier aux habitué·es de la poésie d’aujourd’hui:

ton souffle fait le vent
qui replace les astres dans la gamme
moi j’habitais la misère
celle qui s’oppose au rêve

Puis, petit à petit, le fantôme s’estompe, l’énonciation quitte la nostalgie pour regagner l’instant présent. Les trois dernières sections offrent une ouverture sur le monde. Il y a d’abord un beau «poème à la poste», dans lequel Cotton accepte sa douleur; «Chambre monographie», où le désordre de la vie reprend ses droits; enfin, l’épilogue, «Le cosmographe de Daytona», texte dans lequel l’écrivain, sur un ton badin et délié, interpelle directement les lecteur·rices en assumant sa condition d’artiste et son retour parmi les vivant·es.

Le bordel de vivre

Dire que La révolution permanente est un recueil inégal est un truisme. Cotton y réunit des textes probablement écrits sur plusieurs années. Par exemple, la partie «Chambre monographie» a déjà été publiée, en 2017, sous forme de livre d’artiste au Temps volé. Je ne peux pas m’empêcher de considérer l’œuvre comme une manière, pour l’auteur, de retrouver ses repères après un évènement aussi traumatique que la mort d’un être irremplaçable. Les hésitations dans le ton ainsi que les changements de forme d’une section à l’autre contribuent néanmoins à convaincre de l’authenticité de l’ensemble. Cotton fait le pari du naturel, et ça fonctionne.

Cela dit, j’aurais préféré que l’acuité émotive des premiers textes se maintienne plus longtemps. C’est que les pages en ouverture du recueil sont magnifiques, comme en témoignent les vers que j’ai cités plus haut. Leur gravité m’a touché et étonné. C’est assez peu caractéristique du style plus libre auquel l’auteur m’a habitué – style qu’on retrouve cependant à plusieurs autres endroits dans l’ouvrage. Après tout, on lit Cotton pour se réchauffer. Ça flambe, ça foisonne. Mais dans La révolution permanente, l’enchaînement des métaphores brouille parfois l’émotion, un peu comme s’il fallait se distraire de la douleur trop aiguë du souvenir. Or, j’ai bien l’impression que ce serait abuser de la générosité du poète que de lui demander d’être encore plus vulnérable qu’il ne l’est ici. Profitons plutôt de son offrande en forme de retrouvailles.

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Shawn Cotton
Montréal, L'Écrou
2020, 104 p., 15.00 $