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Réinventer le réel, le reconstruire de toutes pièces

Réinventer le réel, le reconstruire de toutes pièces

Les trois auteures de La Coalition de la Robe rêvent d’un théâtre où spectatrices, dramaturges, comédiennes et metteuses en scène prendraient «leur place, toute leur place».

Théâtre

Les trois auteures de La Coalition de la Robe rêvent d’un théâtre où spectatrices, dramaturges, comédiennes et metteuses en scène prendraient «leur place, toute leur place».

Depuis 2005, alors qu’elles étaient étudiantes à l’école de théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe, Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent suivent à la trace la Coalition de la Robe, un collectif de militantes anonymes (réel ou inventé, ce n’est pas clair) adoptant une perspective féministe intersectionnelle, c’est-à-dire dénonçant «la misogynie, l’hétérosexisme, le racisme systémique [et] le capacitisme du milieu théâtral québécois francophone». Le nom du mouvement est emprunté à Léa Roback, pionnière du féminisme au Québec, décédée en 2000.

Dans cet ouvrage sous-titré «documentaire indiscipliné», qui tient à la fois de l’enquête et du manifeste, les auteures commencent par nommer le réel, par le décrire, le quantifier… pour mieux le changer. En ce sens, leur découverte de la Coalition de la Robe fut un crucial déclencheur: «Derrière cette porte, il y a notre histoire. Y entrer, c’est politique, dans la mesure où ça nous permet de faire des liens, de créer du sens entre les événements. L’histoire qui attend derrière cette porte est prête à être mise en relation, remise en question, et même, à être réécrite.»

Où sont les femmes?

Les auteures constatent partout dans leur milieu l’absence des femmes. Dramaturges, comédiennes et metteuses en scène, celles d’aujourd’hui comme celles d’autrefois, sont sous-représentées, occultées, mises à l’écart. Il est entre autres question de la manière biaisée dont l’histoire du théâtre est enseignée, des stéréotypes qu’on fait entrer dans la tête des apprenties actrices, notamment en ce qui concerne leur corps, du peu de critiques adoptant un point de vue féministe et du défi que constitue le seul fait de se déclarer féministe dans ce milieu.

Ce manifeste se veut: une protestation contre les assignations imposées à nos corps, nos idées et nos imaginaires, écrit la Coalition de la Robe. Prenons le pouvoir sur ceux-ci. Acceptons et reconnaissons que nos expériences teintent inévitablement nos écrits, nos créations. Ce manifeste se veut une réflexion critique dans l’espoir de (re) politiser le théâtre d’ici, pour que les femmes se sentent aussi libres que possible.

En 2011, alors que Garneau entre au programme de Women’s Studies à l’Université Concordia, Milot et St-Laurent fondent le Théâtre de l’Affamée. En 2013, à l’Université Concordia, elles prononcent toutes les trois une conférence intitulée «Femmes, théâtre et société: investir le politique pour une transmission féministe»: «Cette première collaboration marque un tournant. (Nous écrivons déjà ce livre, sans le savoir…)» En 2014, les auteures parlent de vive voix avec les femmes de la Coalition pour la première fois:

La Coalition de la Robe nous a appris à nous exercer à l’autocritique, c’est-à-dire à remettre en question nos propres démarches et nos pratiques pour les faire progresser. Elle nous a aussi forcées à réfléchir à ce que sont une lecture et une critique féministes. Comment concrètement les mettre en pratique? Quelles sont les conditions propices et les modalités particulières qui les structurent au théâtre et dans une démarche artistique de création?

Le livre entrelace les données sociologiques (faits et statistiques) et le récit de réalités individuelles (expériences, constats et prises de conscience), sans oublier de rendre compte, grâce à de mystérieux artéfacts (tract, croquis et zine), des actions de la galvanisante Coalition de la Robe. C’est ce mélange des tons qui rend l’essai aussi accessible, c’est-à-dire théorique et alarmiste en même temps que concret et ludique. On trouve ainsi un «Petit guide pratique pour un théâtre féministe», une liste de suggestions (à détacher et à coller sur son réfrigérateur) qui constitue en quelque sorte une synthèse de l’ouvrage. Aux spectateurs, on recommande: «Regarde autre chose. Y a-t-il des points d’intersection (y’en a toujours!) reliés aux genres, aux sexes, aux “races”, aux orientations sexuelles, aux classes sociales, à la condition physique? Où se trouvent les rapports de domination?»

Le 20 novembre 2016, aux Écuries, le mouvement Femmes pour l’Équité en Théâtre voit le jour: «C’est la première fois, depuis le Printemps érable, et de façon plus spécifique à notre communauté, que nous ressentons cette vibration. La force du nombre. C’est la naissance d’un groupe d’action. Et nous en sommes. […] Nous ne savons pas ce qu’il adviendra de ce groupe, mais nous souhaitons viscéralement qu’il provoque des changements qui s’inscriront dans la durée.» Ainsi, ce que l’ouvrage cristallise, qui plus est sous une forme pas banale, ce sont les premières étapes de ce qui pourrait bien être un renouveau féministe au sein du milieu théâtral québécois. C’est sans contredit un mouvement que Garneau, Milot et St-Laurent décrivent tout en y appartenant, un élan dont la conviction et la précision suscitent de grands espoirs. ♦

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Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot, Marie-Claude St-Laurent
Montréal, Remue-ménage
2017, 144 p., 16.95 $