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Qui veut la peau de David Foenkinos?

Qui veut la peau de David Foenkinos?

Dans Le Sanatorium des écrivains, Suzanne Myre imagine une mystérieuse retraite d’écriture édifiée dans un lieu secret, où on apprécie la littérature à l’aune de son succès.

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Polar

Dans Le Sanatorium des écrivains, Suzanne Myre imagine une mystérieuse retraite d’écriture édifiée dans un lieu secret, où on apprécie la littérature à l’aune de son succès.

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Christian Granger, héritier de la fortune de son père et commis de bibliothèque, aspire à être écrivain. Après un premier livre récompensé de trois étoiles par le «Chroniqueur Littéraire le plus Redoutable du Quotidien le plus lu» et de trois étoiles et demie par son meilleur ami blogueur, l’inspiration est en panne. En plus, sa copine Corinne l’a quitté. Est-ce qu’un séjour au «Sanatorium des écrivains» pourrait remettre Christian dans le droit chemin de l’écriture? De la lecture d’une petite annonce, vantant le succès de l’expérience, au voyage jusque dans les Laurentides, voilà notre héros, débarrassé de son cellulaire et de tout ce qui pourrait le détourner de son grand œuvre, aux portes de la «bâtisse digne d’un petit château de Dracula».

En quête de la recette du succès

À l’intérieur, les pensionnaires se choisissent des pseudonymes. Christian, devenu Edgar Allan Poe, fait la connaissance de Daphné Du Maurier, arrivée en même temps que lui; de Lou Salomé et de son rat Ovide; de Sylvia Plath et de Tatiana de Rosnay, deux femmes plus âgées qui fument des joints et se disputent à longueur de journée; d’Arthur Rimbaud, filant le parfait amour avec Katherine Mansfield; de Gabrielle Roy, apparemment moins fantasque que les autres; enfin, de Beatrix Potter, laquelle apparaît puis disparaît mystérieusement…

Ce n’est pas la seule bizarrerie des lieux, où l’on entend parfois résonner dans les couloirs le claquement des touches d’une machine à écrire: on apprend vite que Daphné est en réalité une enquêtrice à la recherche de l’écrivain français David Foenkinos. Selon son agent, il aurait disparu – et pourquoi pas au Québec… Or, c’est à Foenkinos que Christian a été comparé (négativement) par le fameux critique; il est aussi l’auteur préféré de son ex et de quelques autres pensionnaires du Sanatorium. Il est vrai que la notion d’écrivain·e, dans ces lieux, est surtout entendue au sens du succès. Que les pseudonymes ne nous trompent pas: lorsqu’il est question d’auteur·rices, c’est Chrystine Brouillet, Patrick Senécal et Kim Thúy que l’on convoque.

Visées intertextuelles

Est-ce un polar? L’autrice s’en défend dans ses remerciements. Même si le livre s’articule autour d’une sorte d’enquête, celle-ci reste bien mince, et les fils de l’intrigue sont plutôt distendus. Suzanne Myre, dont c’est le neuvième livre, semble avoir voulu ici proposer un pastiche d’un roman de David Foenkinos, doublé d’une satire de l’idée de best-seller. Bien que tout tourne à la farce, avec ateliers d’écriture, marches zen et donjon d’isolement, il y a quelque chose d’un peu troublant à lire un livre où les personnages font si grand cas de l’auteur de Charlotte ou du Potentiel érotique de ma femme. On a beau se dire que c’est du second degré, l’histoire du pauvre gars un peu mou, mais avec un bon fond, lâché par son énergique petite amie, on l’a déjà lue trop souvent.

L’intérêt du livre, sa dimension humoristique et son second degré, repose sur la verve du narrateur, Christian – qui, au bout du compte, aura bien écrit un roman; elle n’est malheureusement pas toujours à la hauteur, avec des redites, des maladresses syntaxiques et lexicales… Les réflexions sur la littérature, par le choix de l’angle de la popularité, au-delà de leur aspect comique, ne vont pas très loin; ni même celles sur ce qui pousse une personne à se dire écrivaine. Les quelques auteur·rices et textes cités, plutôt hétéroclites, le sont à titre d’anecdotes, et aucun réseau ne les unit, si ce n’est que la défunte mère de Christian en aimait beaucoup certain·es.

Dernier regret, plus personnel: le titre m’avait laissé entrevoir l’énorme potentiel intertextuel du thème du sanatorium. Mais on n’y lira aucune allusion à l’œuvre emblématique de Thomas Mann, La montagne magique (1924), qui déploie sept ans de la vie d’un jeune homme dans un sanatorium. Plus généralement, par l’importance que prenait la tuberculose dans nos sociétés il y a encore quelques décennies, et parce que de nombreux·ses écrivain·es y ont séjourné, le sanatorium – ce lieu hors du monde, où l’on demeurait très longtemps – était à la fois un thème de réflexion littéraire et un espace de sociabilité artistique. C’est au sanatorium que Roland Barthes publie ses premiers articles. Et il n’y a qu’à relire les pages de La nuit (1965) de Jacques Ferron – une autre œuvre emblématique – consacrées au sanatorium, où le héros, François Ménard, connaît une révélation, puis se convertit au communisme, pour se rendre compte que le sujet n’est pas non plus étranger à la littérature québécoise. Sur tout cet univers, le livre fait l’impasse, et je ne serai peut-être pas la seule à trouver cela dommage.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Suzanne Myre
Longueuil, L'instant même
2022, 280 p., 33.95 $