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Que devient le son du Québec ?

Temps d'arrêt

Je suis calme, patient, trop parfois, confiant aussi que le temps arrange les choses. Une nature optimiste malgré l’état de la planète, les changements climatiques et la démocratie mise en péril aux États-Unis par les sbires de Donald Trump.

J’ai toujours aimé la musique populaire, celle qui a été si importante dans les années 1970. Les chanteurs et chanteuses étaient de toutes nos revendications. Souvenez-vous de l’élection du Parti québécois en 1976, des vedettes qui animaient les congrès et les grands rassemblements.

Depuis l’achat de mon premier disque, un vinyle de Renée Claude en 1966, jusqu’au dernier de Richard Séguin, Retour à Walden, je m’efforce de contribuer à la vie de la chanson d’ici. Séguin me donne envie d’aller m’installer dans une forêt d’épinettes, au bord d’un lac, dans une cabane en bois rond, bien isolée pour faire oublier le mal de ventre de la calotte glaciaire. Avec quelques bons livres, bien sûr, et des rames de papier pour écrire dans la splendeur du jour. Pas de voisins, avec comme compagnons des écureuils et un renard porté sur le roux.

Un rêve de jeunesse, me faire ermite.

J’aime Marie-Nicole Lemieux, Julie Boulianne et Marie-Ève Munger. Je suis curieux de tout et friand des expériences qu’elles me proposent. J’adore les surprises et les mondes étranges qui me sont offerts. Quelle découverte que Diane Dufresne et sa voix capable de toutes les extravagances!

Bien sûr, j’ai écouté, des centaines de fois, Beau Dommage, Harmonium, Maneige, Pierre Flynn et Paul Piché, à en user les disques. Claude Dubois, Monique Leyrac et Louise Forestier, et bien d’autres. Ces voix m’ont accompagné pendant des décennies. Le son du Québec, c’est important. Tout autant que sa littérature.

Avenir

La question de l’avenir du français fait les manchettes. Montréal s’anglicise. Des signes inquiètent! Que faire sinon prendre le français à bras-le-corps et l’imposer dans les entreprises et maisons d’enseignement, en faire la langue de tous les résidents du Québec qui ressemblent de plus en plus à une courtepointe belle de mille retailles.

Après tout, le français, c’est mon terreau et ma matière. Je la secoue tous les jours, la triture dans mes chroniques ou mes fictions. C’est ce qui constitue ma pensée et mon mode d’expression, mon équilibre dans la vie.

La langue, c’est le génie d’un peuple, c’est la musique exclusive qui porte à rêver et réaliser grand, à rêver et réaliser fier, à rêver et réaliser beau. Quand ce n’est pas sa langue qui se parle, ça donne ce qui arrive avec les Canadiens de Montréal: on devient des traducteurs… et le sort des traducteurs c’est de finir par se traduire qui, selon son étymologie ancienne, signifie «se trahir».

– Victor-Lévy Beaulieu, La vieille dame de Saint-Pétersbourg

Relève

Je m’intéresse aussi à la relève. Mais souvent, j’ai beau tendre l’oreille, je ne comprends plus les mots des chanteurs et des chanteuses. Et je ne suis pas sourd, même si je prends de l’âge. Les paroles, ça reste essentiel. Une chanson de Gilbert Langevin, un texte de Jean-Pierre Ferland, c’est un monde. En utilisant une langue, un chanteur ou une chanteuse présente sa vision de la société. Avec les récents visages, j’ai beau monter le son à faire trembler les vitres, je ne comprends rien. Beaucoup de nouvelles vedettes sont frappées d’un mal étrange: le bafouillage. Elles gazouillent, mâchouillent, marmonnent, susurrent, baragouinent, murmurent, balbutient au point de devenir inaudibles.

Je suis fatigant avec ça, me demande tout le temps dans quelle langue ils chantent. Cœur de pirate, Safia Nolin, Marie-Pierre Arthur. Même Louis-Jean Cormier est touché. Je suis sorti au milieu de son spectacle à Tadoussac il y a quelques années, je n’en pouvais plus. Un bruit d’enfer dans l’église à faire trembler les statues, des textes totalement incompréhensibles. Pourtant, quand il abandonne sa quincaillerie et qu’il se présente seul avec sa guitare, je l’aime bien. Tout comme Klô Pelgag. Cette chanteuse me semble intéressante, mais je ne saisis qu’un mot ici et là en l’écoutant. Qu’ont-ils tous à babiller comme des marmottes, à se perdre dans un long sifflement? Certains diront que c’est peut-être l’influence de l’anglais!

Cinéma

Je m’efforce de découvrir les nouveautés québécoises au cinéma. Là aussi, le mal se répand. De plus en plus, les comédiens et les comédiennes parlent mou. J’en suis rendu à souhaiter des sous-titres, comme à Occupation double.

Dernièrement, j’ai décidé de revoir Jouliks, un film de Mariloup Wolfe. Très bien, de belles images, des interprètes solides, un décor étonnant. Un drame d’amour, de passion, de famille et d’enfance trouble. Sauf que la jeune Lilou Roy-Lanouette (elle fait la narration) est incompréhensible. Elle doit avoir sept ans. Je l’ai appris dans la publication de l’œuvre théâtrale de Marie-Christine Lê-Huu.

C’est vrai que confier un tel texte à une fillette est une mission quasi impossible. Des monologues magnifiques et perturbants à la lecture. Au visionnement du film, tout cela m’avait échappé. Heureusement que les adultes articulent, sinon… La production est gâchée à cause de ce marmottage.

Que s’est-il passé? Pourquoi a-t-on choisi d’avaler ses mots et de marmonner sur la scène et au cinéma, dans la chanson comme à la télévision? C’est vrai que dans la vie, je demande souvent de répéter dans les magasins et les endroits publics, parce que je ne comprends pas. Ça sort dru, aigu, en logorrhées qui filent à une vitesse vertigineuse.

Menace

Le français n’est plus chez lui sur les trottoirs de Montréal. Je l’ai souvent constaté dans le métro, entre les stations Laurier et Henri-Bourassa. Mais il y a pire. La corrosion de la langue parlée, les mots que l’on mastique comme de la gomme baloune, ça m’obsède!

Je suis aussi un fidèle de Stanley Péan, le soir, à Radio-Canada. Je n’ai presque pas raté une journée de Quand le jazz est là depuis qu’il est à «la barre de son émission», comme il le répète. Il invite souvent des jeunes musiciens, des groupes, des compositeurs articulés et pertinents. Sauf que chaque fois qu’il présente leurs pièces, toutes ont des titres anglais. Notre langue est-elle interdite dans le monde du jazz?

De plus, les citations anglaises ne cessent d’augmenter dans nos œuvres de fiction, sans qu’on prenne la peine d’en faire la traduction. C’est pour la modernité, la diversité, l’inclusion?

Sûr que le temps arrange les choses, en bien ou en mal, mais là, j’avoue que je suis inquiet. Bien pire, je n’acquiers plus de CD. (Oui, je suis de ceux qui refusent le vol organisé sur Internet.) Je n’achète presque plus rien parce que je n’endure plus le marmottage. Je veux entendre ce que les chanteurs et les chanteuses tentent de me dire. Une exception? Certainement! Le dernier Luc De Larochellière, sa Rhapsodie lavalloise. Il parle et chante dans une langue qui m’est familière et que j’aime et que je comprends.

Ça me rassure un tout petit peu.

 


Victor-Lévy Beaulieu, La vieille dame de Saint-Pétersbourg, Trois-Pistoles, éditions Trois-Pistoles, 2021.
Marie-Christine Lê-Huu, Jouliks, Manage (Belgique), éditions Lansman, 2005.

Journaliste, écrivain, conférencier et chroniqueur, Yvon Paré a publié une quinzaine d’ouvrages, des essais, des romans, de la poésie et des récits. Signalons Le voyage d’Ulysse (XYZ, 2013), prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec et Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, ainsi que Les revenants (Pleine lune, 2021), finaliste au Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. On retrouve l’ensemble de ses chroniques sur [yvonpare.blogspot.com].

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