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Quand la punaise se venge

Quand la punaise se venge

La journaliste et professeure Dominique Payette revient sur la montée de la «trash radio» dans la ville de Québec et sur les conséquences de ce phénomène sur la vie démocratique.

Essai

La journaliste et professeure Dominique Payette revient sur la montée de la «trash radio» dans la ville de Québec et sur les conséquences de ce phénomène sur la vie démocratique.

Les animateurs de radio populistes ne sont pas une invention récente. Déjà, dans les années 1970, André Arthur sévissait sur les ondes de CHRC à Québec. Son style d’ours mal léché allait lui valoir un auditoire fidèle: il dénonçait les corrompus, l’État, la Ville, les autorités, les auditeurs trouvaient chez lui une canalisation de leur colère. C’est sans doute à cause de cette renommée que le matin du 8 mai 1984, avant de se rendre au Parlement de Québec commettre une tuerie encore gravée dans les mémoires, Denis Lortie laisserait une cassette adressée au «Roi Arthur» au bureau de CHRC.

Une punaise pugnace

Je mentionne cette histoire parce que Dominique Payette, dans son essai Les brutes et la punaise, revient dès le départ sur l’attentat de la mosquée de Québec et sur le rôle qu’ont pu jouer les radios locales dans le climat délétère qui règne sur la ville.

Bien que le phénomène ne soit pas neuf, les radios d’opinion auraient contribué, selon Payette, à entretenir l’animosité envers les musulmans: «On doit les juger comme des vecteurs non pas d’information, écrit-elle, mais de propagande, destinés à persuader et à mobiliser leurs auditeurs. Quiconque refuse de voir ce fait social s’aveugle sur la tempête qu’il laisse entrevoir.» Évidemment, ce genre de propos n’ont pas fait plaisir aux principaux intéressés, qui se sont d’ailleurs empressés de jouer les martyrs après la publication du livre.

Il faut dire que Payette a déjà payé chèrement ses réflexions. Autrice d’une étude de sociologie des médias sur les radios d’opinion publiée en 2015, elle s’était retrouvée au milieu d’une tempête qui lui avait valu d’être insultée en ondes et en privé par tous les frappés du caillou de la province. «On vous a à l’œil. On va vous écraser comme une punaise», lui avait d’ailleurs écrit un charmant défenseur des radios de Québec. D’où le titre du livre, vous comprenez. La punaise ne se laisse pas si facilement écraser.

Du bullying à l’événementiel

Payette avance qu’il y aurait eu une évolution de la radio d’opinion à Québec entre le début des années 2000 et les années 2010. Ce virage s’opère autour de 2003, alors que la figure de Jeff Fillion, animateur à CHOI Radio X, émerge grande gagnante d’un scandale impliquant un morning man plus poli et plus populaire, Robert Gillet, qui régnait alors sur les ondes de CJMF 93,3. Ce dernier a été arrêté pour avoir reçu les services sexuels d’une escorte mineure (ce fut le moment où la population du Québec, moi y compris, du haut de mes 17 ans, appris ce qu’était un «golden shower»).

Condamné à des broutilles, Gillet reviendrait l’année suivante en grande pompe. «Le Québec a pardonné à Robert Gillet», disait la publicité, mais c’était peine perdue. Un nouveau style, plus acerbe, plus méchant, celui de Jeff Fillion, s’était imposé. Déjà, les «X», qui s’étaient réunis une première fois avec l’Opération Scorpion contre la prostitution juvénile et les gangs de rue (remarquez que le singulier à «rue» est bien choisi, c’est la Ville de Québec, tout de même), arboraient des collants «Que l’on continue!» sur leurs pare-chocs. Belle époque qui se morpionnerait davantage par la suite avec les procès en diffamation, le combat contre le CRTC et la montée de l’ADQ, illustre ancêtre de la CAQ.

Comme l’explique Payette, le non-renouvellement de la licence de diffusion de CHOI Radio X par le CRTC en 2004 sera un moment charnière pour la radio de Québec. La mobilisation des X, qui avait commencé avec l’Opération Scorpion, atteint son paroxysme avec «Liberté, je crie ton nom partout!», torsion crétinozoïde du «j’écris ton nom» de Paul Éluard, mais les poursuites et les menaces du CRTC auront raison de la volonté des propriétaires.

Un nouveau monde

La nouvelle radio qui émerge de l’ère post-Fillion est une radio tout aussi politique, mais ses cibles sont plus générales. Pas question de viser des individus qui peuvent ensuite poursuivre la station, les ennemis seront désormais les féministes, les cyclistes, les Autochtones, la gauche, les syndicats, alouette.

Payette dénonce la dérive du CRTC, qui aurait alors abandonné son mandat de gestion des ondes publiques à la faveur d’un libre marché au service des extrêmes. Là-dessus, on pourrait reprocher à l’ex-candidate péquiste de plaider pour la censure et pour une vision hyper radio-canadienne de l’information, où il y aurait une sorte de centre béni d’où émergerait la Vérité. Qu’à cela ne tienne, le portrait qu’elle dresse du passage d’une radio populiste à une radio franchement politique demeure convaincant, quoiqu’un peu inquiétant pour la suite du monde, à l’heure où la CAQ n’est plus cette frivole ADQ et où la haine semble se répandre plus vite que tombent les carrières de tribuns radiophoniques. ♦

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Dominique Payette
Montréal, Lux
2019, 152 p., 19.95 $