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Pourri mais pas très goûteux

Pourri mais pas très goûteux

Richard Ste-Marie s’aventure dans le polar sans son protagoniste habituel Francis Pagliaro. Un noble risque aux résultats mitigés.

Thématique·s
Polar

Richard Ste-Marie s’aventure dans le polar sans son protagoniste habituel Francis Pagliaro. Un noble risque aux résultats mitigés.

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Ayant lu et apprécié presque toute l’œuvre policière de cet auteur au parcours fascinant (il fut musicien et professeur d’arts visuels avant d’être «polardeux»), j’avais placé haut mes attentes en commençant la lecture du nouveau Richard Ste-Marie. Mais c’est bien connu: c’est ainsi qu’on se prépare aux plus grandes déceptions.

De ton fils charmant et clarinettiste raconte l’histoire d’un flic pourri proche de la retraite, Marcel Banville, peu pressé d’en finir avec son métier pour la bonne raison qu’il a peur de s’ennuyer après. Voilà pourquoi il développe peu à peu un intérêt inhabituel pour sa dernière enquête, le meurtre d’un prêtre et sa mise en scène sordide, bientôt compliquée par d’autres cas semblables. Mais l’affaire est plus tordue que prévu, et pourrait être liée à de vieilles histoires qui le concernent, de près ou de loin; quand vient le moment d’en confier la suite à son jeune partenaire pas particulièrement dégourdi, Banville ne se fait donc pas prier. Personne ne juge d’ailleurs à propos de lui demander de retarder sa retraite.

Assez vite, toutefois, l’ennui anticipé vient lui rendre visite, et cette dernière enquête a ouvert dans son esprit une porte vers son passé qui ne veut plus se refermer. Sa mère était croyante et fréquentait assidûment l’église; elle s’est enlevé la vie quelques années auparavant, le laissant sans explication. Il a croisé dans les dossiers des noms qu’il reconnaît, dont celui d’un curé qui venait les visiter. Peut-être que fouiller un peu dans ce passé presque oublié serait la bonne chose à faire? Il entreprendra donc des recherches de son côté; comme il s’embarrasse encore moins de faire les choses dans la légalité qu’avant de rendre son insigne, il découvre vite certaines vérités que ses anciens collègues ignorent encore…

Bon flic mauvais flic

La plus grande différence entre ce nouveau Ste-Marie et les précédents est l’absence de Francis Pagliaro (présent dans les quatre polars de l’auteur), un policier intègre et attachant, remplacé ici par le sinistre Marcel Banville. Malheureusement, c’est un peu comme si le mauvais flic avait déteint sur le roman. Ce Banville est dur à saisir; on n’arrive pas à l’aimer, mais pas exactement à le détester non plus. Pendant la plus grande partie du livre, il ne semble pas vraiment impliqué dans sa propre vie. C’est lui qui raconte, et pourtant on ne sent pas sa motivation ou ses émotions; la peur de l’ennui, certes, l’appât du gain, certainement, le goût du risque aussi. Mais on dirait que l’écrivain se contente de surfer là-dessus. L’écriture reflète cette distance, le narrateur est cynique, froid en apparence, sauf quand il est blagueur ou baveux (souvent les deux). On ne comprend pas forcément le pourquoi de ce détachement. Dans un texte qui pourrait être une sorte de «confession» ou de bilan, on imaginerait le narrateur plus ouvert, plus transparent. Le personnage de Pagliaro, attachant et crédible, nous manque ici; sa droiture était comme une référence, une boussole. Le fruit pourri Marcel Banville ne nous convainc pas de le suivre.

Quand le métier ne suffit pas

Le livre est loin du ratage total, par contre; l’ensemble se lit non sans plaisir. L’auteur n’a pas brusquement perdu son métier entre deux romans, et il sait nous entraîner dans le Limoilou des dernières décennies du siècle dernier, celui de son enfance et de la jeunesse de Banville. L’enquête elle-même et ses thématiques (corruption, magouilles fiscales, pédophilie) sont suffisamment intéressantes pour conjurer l’ennui. J’ai particulièrement aimé le trop bref portrait d’une certaine police corrompue du Québec des années 1980, portrait qu’on imagine en grande partie fictif, mais pimenté çà et là d’anecdotes historiques (on y rencontre le véritable policier-cambrioleur-meurtrier Serge Lefebvre, autrefois de la police de Sainte-Foy, connu pour avoir assassiné deux collègues quand on l’avait pris sur le fait). C’est dans ces moments que l’amour de l’auteur pour son sujet transparaît et nous contamine. Une attachante galerie de personnages secondaires vient également ajouter de la couleur et de l’humour au roman, comme ce Roger Fruchier, barman français qui sert d’intermédiaire dans toutes sortes de trafics ou encore Charles McNicoll, un mécène et peut-être aussi un tueur à gages, qui ne semble pas avoir d’existence officielle… On se plaît même à espérer les recroiser dans un futur livre.

La fin du roman est assez forte, avec une symbolique quasi fantastique. Le narrateur a découvert des choses sur sa vie à plusieurs points de vue, il en sortira sans doute transformé. Mais en chemin il nous a un peu négligés, on n’a pas su quoi penser de son aventure, qui nous laisse à peu près intacts. Et plutôt déçus. ♦

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Richard Ste-Marie
Montréal, Alire
2018, 272 p., 25.95 $