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Petits gâchis entre amis

Une lumière crue — pensez triste cabine d’essayage de centre commercial — sur la pathétique vie amoureuse d’une certaine classe moyenne aisée.

Roman

Une lumière crue — pensez triste cabine d’essayage de centre commercial — sur la pathétique vie amoureuse d’une certaine classe moyenne aisée.

Il y a peu de conflits dans l’appartement de Magalie et Mathieu, rue Saint-Vallier à Montréal. L’avocat et la designer de cuisines ont une petite fille de cinq ans, Charlotte. La femme couche avec l’un de ses associés, Olivier, depuis qu’elle sait que son conjoint la trompe avec sa collègue Sophie. Au lieu d’affronter son amoureux, elle choisit de protéger sa famille et ne dit mot ni de l’infidélité découverte ni de la sienne.

Mais il n’y a pas que chez le couple que la relative et artificielle paix est maintenue grâce à des dissimulations. À la compagnie de cuisines sur mesure où travaille Magalie, le succès que récolte Isabelle, l’une des propriétaires, avec un blogue de recettes santé laisse aussi dans son sillage un lot de faux semblants et de petits mensonges.

Comme dans Scrapbook, son premier et seul roman, Nadine Bismuth explore la caricature. En 2004, c’était le milieu littéraire dont elle s’amusait à dépeindre les travers. Ici, ce sont les notions de performance en lien avec la famille qui attisent son regard caustique: le couple et la maternité idéalisée en tête de liste. Et comme dans le recueil qui la révélait en 1999, Les gens fidèles ne font pas les nouvelles, elle offre différents regards sur l’infidélité, mais les bévues et les cachotteries semblent plus amères ici, puisqu’elles font éclater des familles, pas seulement des idéaux. (Le plus récent titre de Nadine Bismuth, Êtes-vous mariée à un psychopathe?, remonte à 2009. C’est dire comme ce roman était attendu.)

Petits destins

Il y a ceux qui aiment magnifier le quotidien, les gens ordinaires, les gestes de tous les jours. La plume de Nadine Bismuth ne fait pas dans cette tendresse. Ce n’est pas ce qu’elle cherche. Un lien familial souligne à grands traits que toutes les histoires ne sont pas, sous des allures ordinaires, nobles et belles. Elles sont parfois simplement confortables et aliénées: «Me sentir désirée par un homme à qui je trouve quelque charme parvient à me faire oublier la galère qu’est mon couple. C’est bête, mais c’est ainsi.»

Dans cette fresque triste, il y a aussi André, le nouveau chum de Monique, la maman de Magalie, qui avance dans cette relation — la toute première de Monique depuis le décès de son mari il y a sept ans — en espérant que jamais elle ne découvre l’humiliante et plutôt condamnable raison de son précédent échec amoureux. Ah, et le fils d’André — Guillaume, un policier, papa d’une grande ado en garde partagée — qui trouve Magalie pas mal de son goût et que l’on dépeint, plutôt grossièrement, comme un homme peu sensible aux valeurs douteuses:

Même si j’exerce mon métier dans un arrondissement à la mode, c’est avec les pouilleux qui viennent le parasiter que je dois échanger huit fois sur dix, et non avec ces jeunes tout en beauté qui font la réputation du quartier, tels ces acteurs à côté de moi. En vérité, je suis comme le concierge de la société: je la débarrasse de ses impuretés.

Si, dans le remarqué Les maisons, Fanny Britt sondait l’âme de la femme en couple avec enfants, Un lien familial explore ses travers et ses petites obsessions: faire manger «du chia, du farro (et) du kimchi» à ses enfants, l’épilation permanente, les faits divers.

L’écriture de Nadine Bismuth se situe quelque part entre un réalisme triste et la satire. Elle fait une belle place aux dialogues maladroits — comme l’échange entre un homme qui ne veut pas venir trop vite pendant sa première baise et la femme qui est dans ses bras —, aux sentiments tièdes, aux malaises, aux gens qui mettent de côté tous les signes témoignant du fait qu’ils foncent droit vers un mur.

La multitude des voix que propose le roman — la narration alterne entre Magalie et Guillaume, le policier, en plus de proposer des messages rédigés par son mari Mathieu et sa maîtresse Sophie — sert souvent à mettre en lumière le risible de certaines situations en révélant les mécompréhensions, les lectures différentes d’une même situation.

Mes premières impressions étaient mitigées. Tous ces dialogues, ces détails du quotidien, ce regard presque froid sur les personnages, je n’ai pas vu tout de suite comment cela pourrait résonner en moi une fois les pages refermées. Pourtant, quelques heures après avoir terminé ma lecture, alors que je m’extirpais pour une trop rare fois de ma petite cellule familiale, justement, pour rejoindre des amis, les histoires tristes et banales des gens que j’aime, leurs mariages qui se déconstruisent et leurs petits et grands récits d’infidélités me rappelaient que tout ce cirque grotesque était moins loin de moi que j’aurais aimé le croire. Et quand j’écris grotesque, je ne parle pas du refus de la monogamie, mais des dissimulations ratées, des histoires inventées et des courtespointes de mensonges qui font mal. J’ai été forcée d’admettre qu’il y a dans cette satire une critique triste et juste.♦

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Nadine Bismuth
Montréal, Boréal
2018, 328 p., 27.95 $