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Penseurs de brousse

La contrebande, c’est ce qui s’effectue contre le ban, contre l’interdiction.
Ici, une plume s’élève contre l’interdit de penser qui semble gangrener nos sociétés.
Et une autre lui prête voix pour qu’on l’entende...

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Essai

La contrebande, c’est ce qui s’effectue contre le ban, contre l’interdiction.
Ici, une plume s’élève contre l’interdit de penser qui semble gangrener nos sociétés.
Et une autre lui prête voix pour qu’on l’entende...

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«Un Michel Morin désigne, dans quelques régions françaises, un homme à tout faire. C’est donc également un synonyme de factotum, touche-à-tout, bricoleur.» Une telle lecture sur Wikipedia — où l’on ne trouvera pas trace du Michel Morin philosophe dont il est question ici — porterait à croire à l’élection par ce dernier d’un pseudonyme facétieux, tant il est, comme le révèle Simon Nadeau, un penseur touche-à-tout, un équilibriste entre philosophie et littérature, un écrivain de la pensée qui se défie des systèmes et invente son propre chemin.

Simon Nadeau publie avec Le philosophe contrebandier la première étude d’ensemble de l’œuvre de Michel Morin — ce qu’il faut saluer — et signe son deuxième essai après L’autre modernité, prix Gabrielle-Roy en 2013. L’essai se veut une «introduction à l’œuvre de Michel Morin» (son sous-titre) qui semble aussi nécessaire que tardive. Ce philosophe atypique est en effet l’auteur de quinze ouvrages depuis 1977 (dont trois avec Claude Bertrand), bien que les études littéraires au moins semblent se souvenir seulement du Territoire imaginaire de la culture (en deux tomes, 1979 et 1982).

Une philosophie nouvelle

Nadeau propose au début de l’ouvrage une très belle définition de la philosophie: «l’art de donner vie et mouvement aux choses abstraites en faisant le portrait parlé ou écrit de ses pensées». C’est qu’il insiste avec raison sur le rafraîchissement intellectuel et poétique de cette discipline (qui n’en est pas vraiment une, plutôt une activité de vie) qu’offre l’œuvre de Michel Morin. Il décrit «ce qu’il y a de plus original dans ces essais, soit le devenir-philosophe de l’artiste qui écrit l’œuvre et le devenir-artiste, ou le devenir-romanesque, d’une discipline austère, la philosophie, qui, tout au long de son histoire, a voulu en imposer aux hommes et à toutes les autres disciplines artistiques par son sérieux et sa prétendue “véracité”, comme si elle n’était pas elle aussi un art [...], et comme s’il n’y avait pas aussi une “vérité” qui s’exprimait dans les arts». Il décide alors d’organiser son ouvrage en quatre grands moments «narratifs» pour «faire état de cette aventure de la pensée que nous narre Michel Morin essai après essai».

Car c’est la particularité de cette œuvre, qui chemine discrètement mais sûrement, d’avoir institué au cours des quarante dernières années le modèle de ce qu’on pourrait appeler un vivre-par-la pensée: «car le fait de philosopher chez Morin est indissociable de l’acte d’écrire et d’un engagement existentiel de tous les instants: le “comment” de l’artiste faisant sans cesse écho au “pourquoi” du philosophe». Ce qui explique que l’essayiste Nadeau privilégie la notion de «contrebande» ou de «clandestinité» pour évoquer cette œuvre qui se promène sur des frontières qu’elle aime à troubler, refusant les assignations et les prêts-à-penser et incitant chacun à renouer avec l’aventure intérieure de sa propre réflexion. Et c’est pourquoi il met l’accent sur la forme de l’essai qu’elle emprunte, genre de la pensée créatif et inassignable, qui se refuse aux savoirs autoritaires ou conçus comme définitifs.

Accompagner l’œuvre

Il s’agit donc, plus que d’une critique de l’œuvre, d’un essai d’accompagnement, qui vise à donner au lecteur l’envie de découvrir ou de prolonger sa lecture de Morin. Nadeau y réussit en partageant son enthousiasme, son allégresse, et surtout en rendant contagieux le sentiment d’élévation intellectuelle et spirituelle que confère la lecture de ces textes lumineux, justes et généreux, exigeants sans être prétentieux. On regrette pour cette raison que l’auteur, lorsqu’il évoque sa «façon d’entrer en rapport avec cette œuvre», ne nous ait pas livré davantage le chemin personnel qui l’a conduit à la lecture de Michel Morin. Car il montre justement très bien comment cette œuvre opère à travers la rencontre de subjectivités singulières.♦

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Simon Nadeau
Montréal, Les Herbes rouges
La vie parallèle
2017, 280 p., 24.95 $