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Oeuvre de mémoire

Dans ICI, sa première pièce publiée, Gabrielle Lessard explore la tumultueuse histoire de Radio-Canada et celle du quartier qui héberge le diffuseur public depuis plus de cinquante ans, tout en réfléchissant à ses rôles de femme, d’artiste et de citoyenne.

Théâtre

Dans ICI, sa première pièce publiée, Gabrielle Lessard explore la tumultueuse histoire de Radio-Canada et celle du quartier qui héberge le diffuseur public depuis plus de cinquante ans, tout en réfléchissant à ses rôles de femme, d’artiste et de citoyenne.

Après Retenir l’aube (2013), pièce dans laquelle une fratrie est paralysée par la peur, et Les savants (2016), qui se déroule dans un Québec confronté à un boom démographique fulgurant, sans oublier l’adaptation théâtrale de Déterrer les os, le roman de Fanie Demeule (Hamac, 2016), l’autrice, metteuse en scène et comédienne Gabrielle Lessard a créé ICI à l’Espace Libre en mars2019. Le texte est paru en juin dernier aux éditions Somme toute.

Un joyau

«J’ai fait des recherches pour retracer le comment et le pourquoi du déménagement de ce que je croyais être un joyau patrimonial et culturel inaltérable», explique Lessard en préambule. En plongeant dans «la complexe et riche histoire» de Radio-Canada, la dramaturge apprend que la société d’État «s’est battue pour gagner son indépendance comme le Québec se battait pour la sienne» et qu’elle a «glissé vers les contraintes du financement privé et la course aux cotes d’écoute qui en découle».

Pour transformer ses découvertes en pièce de théâtre, Lessard a entrelacé trois destins dans le quartier Centre-Sud. Née en 1890, Anne travaille à l’usine. Au début des années 1960, la vieille dame doit quitter son appartement au moment de la vague d’expropriations. En effet, la majeure partie du quartier est rasée pour laisser la place à la nouvelle tour de Radio-Canada: «Six cent soixante-dix-huit logements. Douze épiceries. Treize restaurants. Huit garages et environ vingt usines. Détruits. Cinq mille personnes touchées.» Fils d’un journaliste de Radio-Canada, Sébastien, qui voit le jour en 1960, considère la relocalisation de sa famille comme l’occasion d’entrer dans la modernité. Adulte, il hérite de l’immeuble d’habitation de ses parents et œuvre dans le milieu communautaire. Catherine, née en 1990, est actrice et loue un appartement délabré dans l’édifice appartenant à Sébastien. En quête d’identité, de sens et de revenus, elle cède au puissant désir d’écrire afin de créer «une histoire qui résisterait aux pelles des promoteurs de l’uniformisation». Cette Catherine, vous l’aurez compris, est l’alter ego de l’autrice.

Théâtre et réalité

Quand elle apprend que Radio-Canada est sur le point de déménager dans un nouvel immeuble, l’autrice se lance dans une enquête qui lui tient à cœur.

Cette pièce est donc toute personnelle, explique-t-elle. C’est mon chemin qui croise celui de l’histoire. Ce sont mes rêves qui croisent ceux des autres et c’est mon sentiment d’impuissance qui choisit de déposer le poids du monde dans la terre, voir s’il ne s’y cacherait pas un germe.

À la manière du travail de Christine Beaulieu autour d’Hydro-Québec, mais en s’appuyant moins sur des entrevues et davantage sur des livres ainsi que sur des films, Lessard utilise le théâtre pour sonder la nature du rapport des Québécois·es avec Radio-Canada. Ce qu’elle fait d’ailleurs en toute candeur: «Tsé, je suis juste comédienne, précise le personnage de Catherine. Je connais pas ça tant que ça. J’ai l’impression que je connais rien.»

Cela dit, l’écrivaine approfondit son sujet: en fait foi la longue liste de références publiée en fin d’ouvrage. Enjeux politiques, linguistiques, urbanistiques… la synthèse est admirable. Le commun des mortels apprendra beaucoup sur le passé, le présent et le futur du diffuseur public. D’ailleurs, le journaliste Alain Saulnier, directeur de l’information à Radio-Canada de 2006 à 2012 et auteur du livre Ici était Radio-Canada (Boréal, 2014), écrit dans la préface: «À n’en pas douter, l’autrice aime Radio-Canada et nous oblige à revenir sur notre histoire d’affection envers le service public.»

Malheureusement, la situation dramatique est bien mince. La pièce n’est pas dénuée d’humour, perceptible notamment dans l’autocritique dont Catherine fait preuve, mais elle est aussi fâcheusement dépourvue d’antagonismes. Il y a quelques nobles appels à la mobilisation, mais ils sont souvent atténués par un surplus de naïveté:

Les promoteurs, c’est pas juste des gentils. La culture va rester en danger, la gentrification va s’intensifier, encourager l’étalement urbain… Mais ça, c’est tant et aussi longtemps qu’on se laisse faire. Et plus on se laisse faire, moins on a de fierté et de confiance en nous.

On déplore en fin de compte que l’œuvre soit plus didactique que documentaire, plus instructive que polémique, plus informative que poignante.

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Gabrielle Lessard
Montréal, Somme toute
2020, 128 p., 17.95 $