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Nombreuse

L’œuvre de Denise Desautels compte aujourd’hui parmi les plus importantes de la poésie québécoise. Son recueil précédent, Sans toi, je n’aurais pas regardé si haut, nous avait bouleversés. Et elle nous atteint de nouveau.

Thématique·s
Poésie

L’œuvre de Denise Desautels compte aujourd’hui parmi les plus importantes de la poésie québécoise. Son recueil précédent, Sans toi, je n’aurais pas regardé si haut, nous avait bouleversés. Et elle nous atteint de nouveau.

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Denise Desautels est une poète grave et appliquée. En alerte constante mais circonspecte, elle nomme patiemment, détaille, manipule un monde noir, un monde zébré de menaces du passé résurgent ou fondamentalement actuelles, toujours présentes. C’est un univers violent qu’elle défie, là où sont agressées la fragilité, la beauté et la liberté qui restent. Au-devant, comme il est émouvant de voir la poète debout, nous enseignant par là même la nuance entre courage et force, entre résistance et violence:

celle qui est là moi moi de moins en moins
d’authentiques guerres reviennent
passé présent cognent poitrine et font pleurer

tu tentes l’impossible tu montres du doigt
toi ailleurs et tout le monde
réciproquement

On retrouvera dans D’où surgit parfois un bras d’horizon les thèmes majeurs de l’œuvre de Desautels (comment oublier Le tombeau de Lou?), la mort et le deuil, sujets originels et fondateurs de son travail. Dès le tout premier poème du livre, la faucheuse se profile: «Nos aimés nous sont arrachés.» Elle poursuit: «Il aurait fallu que surgisse tôt une lumière de fond anti-fraude, surdité et sauvageries maternelles. […] Que j’acquière tôt l’habitude d’être vivante.» Or, au fil des pages de ce recueil ample, on rencontrera tant de voix, d’œuvres, de présences, de langues étrangères, d’altérité en somme, que se tisse par là une stratégie, un plan pluriel. Un front.

Constellation

Et voici qu’une résistance se met en place. Le nombre de citations et références, tant en début ou fin de section que dans le corps des textes, dépasse en effet aisément la centaine et fait apparaître toute une constellation d’alliées (le féminin l’emporte), des étoiles qui persistent quand la nuit se dissipe et que l’heure est à la riposte:

[…] Quelque chose s’est fait en mon absence. Arrivée lente à l’aveugle autobiographie de mon espèce. Je commence tard à mourir à chaque aube. Me relève tard mais rude résiste revis veux me battre. Jusqu’aux étoiles. Dis oui nombreuse à voix violente.

Parmi les alliées, la regrettée Hélène Monette fait l’objet d’un hommage, dans la suite de poèmes «Le baiser d’Hélène» — dont on avait pu lire une première version dans Le Devoir en mars 2016, quelle magnifique idée, on en voudrait plus —, qui nous rappelle avec émotion la voix guerrière de «haute hurlante Hélène», trop rapidement éteinte, une voix que Denise Desautels accueille en son sein de la plus touchante des manières: «la langue d’Hélène se recueille/orage dans mes os».

Le propos de Desautels est soutenu par un langage simple dont le secret tient au phrasé, chaque image, chaque idée se transversant dans la suivante, à la façon d’un ruisseau changeant. Qui s’y aventurerait avec trop d’insouciance en mesurait, étonné, la force, les lames de fond et les remous insoupçonnés. C’est que la poète sait d’où elle nous parle: «J’écris légèrement au-dessus de la douleur./Légèrement au-dessus de la colère.» On saisit là toute la vigueur possible de son mouvement, si posé puisse-t-il sembler.

D’où surgit parfois un bras d’horizon révèle des passages d’une beauté époustouflante, montrée sans effort, vêtue seulement de sincérité, de vulnérabilité, mais qui laisse découvrir en son centre une agitation certaine: «Quand tout est froissé, que deviennent/l’ombre des phrases et leur surdité de guerre./Où suis-je — temporairement même — dans cet espace chauve./Que faire après. En attendant.» D’une architecture massive, formée de quatre sections d’inventaires numérotées et de deux autres, qui ouvrent et closent le recueil, sous forme de journal (de février et d’octobre), l’ouvrage se lit pourtant dans tous les ordres possibles — contre tous les ordres possibles, a-t-on envie d’ajouter. On s’y engloutira comme dans une cathédrale inconnue.

Un peu comme l’album Songs of Leonard Cohen donne l’impression d’une collection de succès parce que ses dix pièces sont toutes devenues des classiques, cet inventaire de poèmes rédigés entre 2012 et 2016 a des allures de rétrospective, tant la qualité des textes qui y sont réunis est flagrante. On ne saurait trop recommander la lecture de l’œuvre de Denise Desautels; ce superbe ouvrage, un seizième au Noroît pour elle, peut tout autant constituer une porte d’entrée vers son travail qu’un nouvel épisode de ravissement pour ses lecteurs et lectrices. Inoubliable et saisissant.♦

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Denise Desautels
Montréal, Le Noroît
2017, 178 p., 25.00 $