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Ne tirez pas sur le curé

Ne tirez pas sur le curé

Une anecdote intrigante et bien de chez nous, des personnages fièrement campés et un romancier qui commence à connaître son métier: que d’ingrédients pour un livre non sans qualités, mais dispensable!

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Une anecdote intrigante et bien de chez nous, des personnages fièrement campés et un romancier qui commence à connaître son métier: que d’ingrédients pour un livre non sans qualités, mais dispensable!

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Daniel Lessard a-t-il encore besoin de présentation? Journaliste à Radio-Canada, aujourd’hui retraité (mais pas tant), membre de l’Ordre du Canada, il a écrit depuis 2011 plusieurs romans, souvent historiques (la série des Maggie) ou policiers. Son dernier, La dalle des morts, est un mélange inégalement proportionné des deux genres.

Le roman est largement basé sur des faits historiques: l’auteur a même, avec la permission des familles, utilisé certains noms véritables. Malgré cette prémisse qui pourrait évoquer un «roman de journaliste», où tout serait dans les faits et la documentation, l’auteur sait raconter une histoire avec un style alerte. On a donc affaire à un véritable roman.

Clochers

L’histoire commence en 1938 à Saint-Léon-de-Standon, village situé à la jonction du canton de Bellechasse et de la Beauce, où Alyre Verreault, le nouveau curé autoritaire, rencontre une vive opposition. C’est que l’emplacement du nouveau cimetière, qu’il a choisi et dont il ne veut pas démordre, est situé en terrain humide. Qui voudrait enterrer ses morts dans l’eau? Une noyade éternelle, en quelque sorte, qui ne fait pas l’affaire de tous.

Mais allez donc défier un curé, un homme de Dieu! Il faut s’orga-niser. C’est ce que fera Gonzague Nadeau, entraînant ses enfants et alliés — certains bien malgré eux! — dans cette aventure très risquée. Les partisans du curé se regroupent également, menés par Dorilas Gagnon. Ce qui complique le conflit, mais le rend aussi plus intéressant, c’est qu’Odile Nadeau (fille de Gonzague) et Flavien Gagnon (vous l’aurez deviné, fils de Dorilas, l’ennemi des Nadeau) se sont promis l’un à l’autre. Shakespeare, quand tu nous tiens…

Le curé Verreault est têtu, mais son ennemi Gonzague l’est tout autant; toutefois, ce dernier a probablement plus à perdre. Faisant écho à l’anecdote qui l’a inspiré, le roman montre que la guerre entre les deux ennemis jurés aura des répercussions sur plusieurs années… et sur plus d’une génération!

Lessard n’est pas tombé dans le piège du pittoresque à tout prix. Ses vifs dialogues sont teintés par le parler populaire de l’entre-deux-guerres, mais ils ne vont pas jusqu’à la caricature. Le romancier adopte un point de vue qui pourrait s’apparenter au «réalisme», si l’expression n’était pas si galvaudée: ses personnages sont décrits dans leur milieu, avec leurs conflits intérieurs et extérieurs, leurs aspirations et leurs peurs. Qui plus est, les protagonistes féminins possèdent de véritables motivations. Une chose, toutefois, m’a agacé les oreilles: tous ces prénoms aux sons étranges et d’une autre époque. Y avait-il vraiment autant de Praxède, de Vénérand, de Zéphirie, d’Alyre et de Linière dans la Beauce des années 1930? Peut-être, en fait! Mais ce petit côté folklorique m’a fait décrocher par moments, ce qui en dit peut-être davantage sur moi que sur le livre.

Métaphore pour une autre fois

J’aurais aimé que La dalle des morts soit exactement à mi-chemin du roman policier et du roman historique, comme Saint-Léon-de-Standon est situé sur la frontière séparant la Beauce de Bellechasse: une telle image aurait bien conclu cette critique. Malheureusement, Lessard penche très nettement du côté historique avec sa chronique sociale d’époque, qui comporte somme toute assez peu d’ingrédients «polar». Si je dis «malheureusement», ce n’est pas parce que je critique le genre historique, mais bien parce que nous, amateurs de polars, avons été à moitié trompés par le titre du livre, La dalle des morts, sa couverture — une scène de nuit sombre avec des éclats indigo — et les excursions précédentes de l’auteur dans le genre (Péril sur le fleuve, La louve aux abois). On peut penser que votre libraire a conclu la même chose et l’a classé pas loin du dernier Martin Michaud. Je vous laisse vérifier.

D’un point de vue purement littéraire, La dalle des morts, malgré la plume aguerrie de Lessard, un mélange de comique et de tragique qui ne manque pas de charme et une intrigue «pure laine» que le recul rend exotique, n’offre pas un regard transcendant sur ce pan surprenant de l’histoire, ni sur ses acteurs. D’ailleurs, le style fulgurant ou novateur de l’écrivain, qui eût pu faire de La dalle des morts une œuvre au sens fort du terme, tout comme le sentiment d’urgence ou de noirceur propre aux meilleurs polars ne sont pas non plus très présents. Reste un divertissement juste un peu plus élevé que la moyenne.

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Daniel Lessard
Rosemère, Pierre Tisseyre
2019, 360 p., 34.95 $