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Mystère et food porn

Chrystine Brouillet signe avec Chambre 1002 un polar où une tentative de meurtre est le prétexte d’une histoire d’amitié scellée autour de la préparation et de l’échange de recettes.

Thématique·s
Polar

Chrystine Brouillet signe avec Chambre 1002 un polar où une tentative de meurtre est le prétexte d’une histoire d’amitié scellée autour de la préparation et de l’échange de recettes.

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«Hélène ne disait-elle pas souvent que les amitiés sont comme les grands crus qui gagnent en profondeur avec le temps?» Quand Hélène Holcomb, chef cuisinière de renom, est victime d’un violent accident de voiture et qu’elle se retrouve dans le coma, ses amies se présentent jour après jour dans sa chambre d’hôpital pour lui faire humer différents plats, motivées par la conviction que cette aromathérapie réussira à la réveiller, tout cela pendant que la police mène son enquête.

Les personnages de Chambre 1002 invitent à la sympathie (ils ont tous une blessure originelle — inceste, cancer, maladie de Bell), et les références culturelles ancrent le récit dans les tendances et les curiosités culinaires et épicuriennes montréalaises, ce qui peut séduire. (D’ailleurs, Brouillet a maintes fois exploré l’univers gastronomique dans ses romans, le dernier projet du genre étant le recueil de nouvelles Treize à table publié en collaboration avec Geneviève Lefebvre). Toutefois, l’intrigue est simple, l’écriture prévisible et transparente. Les lectrices et lecteurs sauront d’avance comment l’histoire se terminera. Alors, peut-être que l’intérêt de ce roman réside dans cette écriture lisse et plate, en dans qualité rassurante et dans le fait que Brouillet offre à ses lectrices et lecteurs un portrait dans lequel elles et ils sauront se reconnaître.

Au goût du jour

Dans l’éditorial du dernier numéro de Lettres québécoises, Annabelle Moreau dressait un état de l’industrie du livre, nous apprenant que les instances médiatiques québécoises dédiaient davantage d’espace aux livres de cuisine qu’à n’importe quelles autres publications. Il semble que Brouillet soit au fait de l’air du temps, qu’elle ait pour elle cette passion, alors qu’elle nous propose une œuvre hybride, où l’histoire est organisée par la succession des repas que préparent les amies d’Hélène. Sur près de trois cent cinquante pages, les recettes se suivent; les ingrédients et la préparation pour une vingtaine de plats introduisent chaque chapitre — baklava, curry d’agneau, osso buco, pierogis, tarte à la tomate,etc. Qui se procurera ce roman fera une petite affaire puisqu’il aura en prime un livre de recettes.

Coup de marketing ou génie du divertissement, le roman de Brouillet, j’en suis persuadée, est assuré d’un succès commercial. Car elle est l’une des écrivaines les plus lues au Québec, il ne faut pas négliger l’importance de cette écriture. Mais je me demande ce qu’ont les Québécoises et les Québécois avec le ventre? Est-ce que cette hyperphagie ne cacherait pas autre chose? Ne serait-elle pas une réaction au contexte social actuel?

Manger ses émotions

Je dois être franche. Ce livre m’est tombé des mains. L’écriture ne m’a pas entraînée, les personnages et leurs dialogues m’ont ennuyée au point de m’en irriter. Le ton, il m’a semblé, est celui de romans jeunesse. Et les lieux communs, les phrases vides abondent:

— C’est sûr que les humains sont décourageants. Il y a l’art, heureusement. Qui existe parce que des hommes et des femmes, bien qu’imparfaits, poursuivent leur quête.
— Vous, vous cherchez quoi?
— La lumière. Je la trouve parfois.

Les monologues intérieurs, censés traduire les tourments psycho-logiques et les dilemmes moraux des personnages, sont superficiels; ils présentent des raisonnements autosuffisants, des problèmes évoqués et résolus d’un même souffle: «Fabien avait besoin de l’approbation de son père pour exister, puisque sa mère préférait son frère aîné.» Tout semble écrit à la mesure des discours psycho pop.

Or, ne me considérant pas comme le public cible, je dois, pour apprécier la lecture de ce type d’écriture, l’envisager dans la distance d’un document sociologique. Bien que je ne m’y reconnaisse pas, et que mes amitiés ne soient pas de celles qui s’alimentent de cet univers épicurien et petit-bourgeois, je vois bien ce qu’il y a de réconfortant dans ce livre que l’on consomme comme du fast food, et dont on tourne les pages comme on fait défiler les clichés de food porn sur Instagram. S’il instaure, pour un moment, un climat d’incertitude, Chambre 1002 déploie néanmoins un univers apaisant, où tout tend vers la résolution de toutes les angoisses et de tous les drames.

Et donc, après la lecture de ce livre, j’ai pensé au contexte politique actuel, au conservatisme prégnant, et à l’exacerbation de l’intolérance et des inégalités sociales, et je me demande quelles réalités viennent décrire des romans comme ceux de Brouillet, où tout est conjuré dès lors qu’on a de bonnes pensées pour le malheur des autres, autour d’un bon repas. Moi qui recherche, dans mes lectures, les zones conflictuelles, les questionnements et les paradoxes; moi qui suis attirée par ce qui complique les choses et parfois même me rejette comme lectrice fantasmée, je me méfie de ces romans qui, il me semble, visent à me tranquilliser. Ce qui me déplaît, mais qui fera, je crois, le succès de Brouillet, réside donc dans cette tranquillité d’esprit; dans cette indifférence latente, que porte cette écriture comme «de l’eau chaude avec de la fleur d’oranger. Il paraît qu’on endort les bébés avec ça». ♦

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Chrystine Brouillet
Montréal, Druide
2018, 360 p., 24.95 $