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Libérée, délivrée

Dans un huis clos d’abord étouffant, puis rédempteur, Les pénitences met en scène un face-à-face entre un père et sa fille maintenant adulte, dix ans après la fuite de celle-ci.

Thématique·s
Roman

Dans un huis clos d’abord étouffant, puis rédempteur, Les pénitences met en scène un face-à-face entre un père et sa fille maintenant adulte, dix ans après la fuite de celle-ci.

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Denis harcèle sa fille Jules au téléphone pour qu’elle vienne lui porter un objet significatif. Un soir, après sa journée de travail, elle consent à se rendre chez lui. Ce qui devait être une visite rapide devient une plongée dans le passé, un affrontement qui embrasse toute la complexe histoire de leur famille.

Lorsque Christine s’est séparée du père de ses deux filles, Charlotte et Jules, elle fuyait la violence de leur quotidien. Pourtant, le contrôle, les manipulations et les agressions ont simplement changé de forme, de cible. Brisées par cette séparation acrimonieuse, Jules et sa sœur ont fait ce qu’elles ont pu face à leur vieux punk de père, un grand sensible qui ne connaît que l’agressivité. Le soir au cours duquel se déroule toute l’action du roman, l’homme espère depuis longtemps ces retrouvailles avec sa fille, «sa précieuse enfant chez qui il a encouragé toutes les rébellions jusqu’à ce qu’elle lui désobéisse».

Juste une bière

Après son arrivée au domicile paternel, lorsque la porte se referme derrière elle, Jules espère «régler ça le plus vite possible». Puis elle accepte de boire une bière, de manger un bol de pâtes. Ensuite, il y a le joint partagé dans la salle de bain, la virée au dépanneur: Denis n’a aucune intention de laisser partir sa fille.

La trame narrative montre, sans l’excuser, la détresse de la famille, qui s’inscrit dans un contexte – pauvreté, manque d’éducation – où chacune des vulnérabilités exacerbe les autres. L’adhésion à des théories populistes et la perpétuation des préjugés apparaissent comme autant de remparts contre une société qui laisse tomber les moins fortuné·es: «En réaction à un système qui a échoué à la protéger, Charlie cherche ses réponses sur des sites conspirationnistes, un rare lieu d’appartenance qui réconforte sa personnalité excessive.»

Au fil de la soirée, puis de la nuit, la violence de Denis comme les stratégies de sa fille pour s’en défaire rappellent des réflexes du passé:

Jules espère que Denis devine à travers la porte la soudaine docilité de sa fille, et qu’il lui ouvre son cœur et ses bras pour l’inviter à se réconcilier, malgré tout, comme le font les gens équilibrés qui désirent se parler à Noël autour des crevettes cocktail.

Mais Jules est une adulte maintenant – vingt-quatre ans, réceptionniste dans une maison de disques –, elle voit son père tel qu’il est, et si parfois elle s’incline devant ses manipulations et ses cris, elle apprend aussi à répliquer.

Des mots comme des scalpels

Alex Viens offre un premier roman coup de poing, un récit solidement construit doublé d’une puissante capacité à nommer ce qui ruisselle sous les drames. Des «phrases-constats», telles de petites bombes, énoncent avec une grande simplicité stylistique de dures réalités: «Les enfants maltraités ne se défont jamais de l’enfance qu’ils n’ont pas eue.»

Les paroles de chansons de The Cure, que Denis et Jules adorent, ponctuent le roman. Les mots de Robert Smith et de ses comparses n’ont peut-être pas la force de frappe de ceux de l’auteur·rice, mais ils enveloppent d’une trame musicale la nuit angoissante que vivent les protagonistes.

Quant aux nombreux dialogues, ils sont rythmés, réalistement vulgaires et agrémentés de sacres; surtout, ils révèlent qu’il suffit parfois de peu pour sceller l’emprise d’une personne sur une autre.

La reprise de contrôle de Jules face à son père est jouissive, exubérante; son refus – pour une deuxième fois en dix ans – de la violence, émancipateur. Cette histoire, c’est la conclusion fantasmée aux années d’abus, l’enfant qui se libère pour de bon de son «parent-bourreau».

Sa libération, le personnage la doit aussi à ses mots, parce que pour s’affranchir de ceux qui nous ont blessé·es, il faut nommer leur dureté:

Jules cherche toujours ses mots. Elle cherche les termes justes, ceux qui n’ont peur de rien, pas même de la vérité. Jules voudrait se doter d’un vocabulaire irréprochable, parce que celui qui lui a été légué trahit son héritage – le manque d’éducation, la pauvreté, la paresse.

Les pénitences, c’est également la naissance d’une voix d’écrivain·e qui a du rythme, du chien et certainement des choses à dire. Ce livre confirme (une fois de plus) que Le Cheval d’août, avec son catalogue d’à peine quelques titres par année, sait dénicher et mettre en valeur les primoromancier·ères.

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Alex Viens
Montréal, Le Cheval d'août
2022, 144 p., 22.95 $