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Les sociologues lisent-ils autre chose quue leur fil Facebook?

Les sociologues lisent-ils autre chose quue leur fil Facebook?

Le manifeste des parvenus de Julia Posca, malgré quelques traits bien envoyés, manque du tonus que son titre appelle, pour rester dans une critique souvent entendue du Québec néo-libéral.

Essai

Le manifeste des parvenus de Julia Posca, malgré quelques traits bien envoyés, manque du tonus que son titre appelle, pour rester dans une critique souvent entendue du Québec néo-libéral.

Internet a généralisé une forme littéraire qu’il serait possible d’appeler la réponse à l’idiot. Pour verser dans ce genre littéraire, il suffit de trouver un idiot qui écrit des idioties (cela n’a rien pour surprendre, c’est souvent même son travail), et de se fendre d’une réponse astucieuse à l’un de ses textes (souvent sous forme de lettre) pour se montrer plus malin que lui. Allumez votre Facebook, vous en trouverez au moins quinze. Le problème, c’est qu’un texte est rarement meilleur que sa matière première, et que, de réponse à l’idiot en réponse à l’idiot, on en vient à se demander si nous ne sommes pas tous collectivement en train de devenir des idiots.

Un même sentiment émerge par moments à la lecture du Manifeste des parvenus de Julia Posca, un essai paru chez Lux, qui aurait pu s’extraire d’une critique déjà entendue du manifeste Pour un Québec lucide et du néolibéralisme, mais qui n’y parvient pas entièrement.

Un départ canon

Il faut reconnaître que Posca démarre sur les chapeaux de roues avec une anecdote à propos de Marc Bibeau — ancien argentier du Parti libéral et entrepreneur dans le béton (ça ne s’invente pas) — et d’une fondation pour aider les enfants, pour laquelle il aurait amassé plus de 2,5 millions de dollars en un seul événement. La description habile de cette hypocrisie des puissants réunis autour d’une bonne cause générique devient révélatrice d’un pouvoir cynique, où cette espèce quelque peu méprisable du bourgeois de province joue le jeu du pouvoir entre ministres, députés et autres marchands de cailloux. «L’élite politique et l’élite économique se fréquentent à la frontière de la légalité, dans un no man’s land juridique et moral où les accords privés et les connivences personnelles tiennent lieu de normes de conduite», écrit Posca avec justesse.

L’autrice en vient à jeter les bases du fonctionnement de cette élite provinciale en six commandements: «1) L’argent tu honoreras; 2) À plus petit que toi, tu ne t’intéresseras pas; 3) Une économie de dirigeants, tu bâtiras; 4) Par l’impôt, tu ne te laisseras pas dérober; 5) Le Bien, tu convoiteras; 6) La réalité de la vie, c’est l’entreprise privée.» Chacun de ces commandements devient ensuite un chapitre de ce qui constitue, vous l’aurez compris, un manifeste des parvenus.

L’idée de se servir de l’ironie pour dénoncer la petitesse de nos élites économiques locales serait excellente si, justement, on ne l’échappait pas en cours de route. En fait, le problème de l’essai de Posca est justement d’être plus un essai qu’un manifeste, genre qui aurait demandé plus d’éclat et de pompe. Alors que les commandements appelaient à pousser plus loin la logique des parvenus, la critique se pointe sans cesse au détour, et vient désamorcer le mécanisme proposé au départ. Ce ne sont pas les parvenus qui parlent, mais bien Posca qui tire les ficelles.

Du déjà lu

L’ironie est dure à manier, et rares sont les auteurs qui y parviennent bien. Posca semble incapable de tenir le pari qu’elle se lance, celui de transmettre le discours des parvenus sans sourciller, et ce problème s’aggrave dans la deuxième partie alors qu’elle écrit sa propre réponse aux «parvenus». Il pourrait être amusant d’avoir cette structure en deux parties, si Posca ne s’était pas déjà répondu à elle-même dans la première.

Ça se gâte un peu plus quand on considère les sources déficientes de Posca (La Presse, Le Devoir, le Journal de Montréal, essentiellement), qui ne sont pas là pour arranger la réputation des sociologues d’être des spécialistes de tout et de n’importe quoi. Commentaires, commentaires… Un peu de terrain aurait été plus souhaitable qu’une revue de presse, et je doute que quiconque ne sorte grandi de la déconstruction d’articles de Richard Martineau, de Sophie Durocher ou de ce grand flanc-mou de Pierre-Yves McSween.

Malgré ces défauts, les leçons (c’est comme ça qu’elle les nomme) qui terminent le Manifeste des parvenus offrent une lecture, simplifiée mais claire, de la transition qui s’est opérée avec une Révolution tranquille accaparée finalement par le Québec inc. On imaginerait bien des extraits circuler dans les cours de cégep comme amorce de discussion mais, quant à l’ensemble, il en ressort un vague sentiment d’avoir déjà lu ça quelque part. ♦

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Julia Posca
Montréal, Lux
2018, 152 p., 19.95 $