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Les harmoniques du ciel

Ma première rencontre livresque avec Joël Champetier (1957-2015) s’est produite en 1993 par l’entremise du roman jeunesse Le jour-de-trop.

Littératures de l'imaginaire

Ma première rencontre livresque avec Joël Champetier (1957-2015) s’est produite en 1993 par l’entremise du roman jeunesse Le jour-de-trop.

Le récit de science-fiction m’avait conquise par son imaginaire, son originalité et – j’allais plus tard le comprendre – sa puissance d’évocation. Champetier était un orfèvre du langage: il ciselait les phrases avec une précision subtile, délicate. L’écrivain n’était pas fervent des figures de style tapageuses ni de la déconstruction narrative. Son travail était davantage de l’ordre du détail et de la régularité. L’ensemble de ses textes, de sa première nouvelle parue en revue à RESET (Alire, 2011), roman édité avant son décès prématuré, était fluide et harmonieux. Et l’ouvrage qu’il a rédigé jusqu’à sa mort, Le carrousel martien, s’annonçait des plus enthousiasmants. Le recueil Tous mes univers (malgré son titre terne et convenu) permet notamment de découvrir le premier chapitre de cette œuvre ultime. Cette anthologie rassemble en effet l’intégralité des nouvelles publiées par l’auteur.

Sous un ciel de quartz fondu

Dans la conception de ses intrigues, Champetier était à l’image de son écriture: discret, minutieux. Conteur de talent, il maîtrisait parfaitement la narration et continue d’éblouir, au gré des pages, comme ces étoiles qui n’aveuglent pas, mais possèdent un éclat constant. Le charme opère graduellement, magnétise, nous incitant à enchaîner à toute vitesse les nouvelles du recueil. En fait, aucun des textes de Tous mes univers n’est faible; quelques-uns, plus anecdotiques et humoristiques, marquent moins durablement la mémoire, mais ils demeurent fort bien écrits. C’est le cas de «Défectuosité» (l’histoire d’un vaisseau en train de faire naufrage) ou d’«En petites coupures» (un «génie-gnome» qui jaillit d’un tube de dentifrice…). D’autres fictions fraient avec l’humour noir, telle la très réussie «Salut Gilles!», dans laquelle le personnage éponyme et son équipe médicale doivent euthanasier les nourrissons abandonnés à la naissance, «le délai pour traiter un post-natal [étant] de quarante-huit heures». «Visite au comptoir dénébolien», du même acabit, décrit un centre commercial bordélique construit par des extraterrestres, où les denrées sont impossibles à identifier et les sorties, labyrinthiques. L’ensemble est narré sur un ton intimiste et autobiographique (c’est le seul texte de ce genre de Tous mes univers): les proches de l’écrivain reconnaîtront entre autres Valérie, sa compagne, grande magasineuse devant l’Éternel!

Certains récits sont particulièrement émouvants et prenants, dont «Le chemin des fleurs». L’intrigue nous transporte dans un hôpital, où Lyonel pense habiter le corps des abeilles et «accompagne[r] [s]es amies sur le chemin des fleurs». Touchante et feutrée, cette nouvelle annonce «Poisson-soluble» et ses amphibies volants ainsi que «Bébé, Stan’ et moi», histoire sensible dans laquelle un pilote échoué sur Moinine insère dans sa tête le «cervor» (un cerveau électronique) d’une naufragée défunte. Car «pour la première fois de [s]a vie, [il est] seul. Pas de banque de données, pas d’amplificateur sensoriel, pas d’enregistreur […], pas d’ami». La cohabitation sera aussi complexe que fragile, la fiction s’intéressant à la nature humaine de même qu’aux questionnements éthiques, comme c’était souvent le cas chez Champetier.

La médecine et les mathématiques sont pour leur part l’inspiration de plusieurs récits mémorables de science-fiction: «Retour sur Colonie» – écrit en collaboration avec Élisabeth Vonarburg –, «Survie sur Mars», «À fleur de peau» et le magnifique «Cœur de fer», qui raconte le voyage de la capsule L’Aiguille jusqu’au noyau terrestre, en direction du «cœur qui bat au sein de la Terre depuis le début de la création». À bord de l’appareil, Lucas, copilote à la santé mentale précaire. La folie est par ailleurs l’un des thèmes fétiches de Champetier, fabuleusement déployé dans son roman L’aile du papillon (Alire, 1999).

Quelques nouvelles qui appartiennent au fantastique et au merveilleux témoignent de l’impressionnante polyvalence de l’auteur. Le texte de fantasy «Badelaire l’assassin», léger, s’amuse à déformer les tropes du genre pour mieux les réinventer, tandis que le superbe «Créatures de poussière» montre comment s’assemble dans l’ombre ce qu’on croit laisser derrière soi…

L’autre rive de l’océan de la nuit

Tous mes univers est un appel à (re)découvrir l’œuvre d’un écrivain essentiel et discret. Sans contredit l’un des piliers des littératures de l’imaginaire au Québec, Champetier signait des textes qui invitaient à admirer l’harmonie des constellations du soir. À chercher ces étoiles qui n’aveuglent pas, mais dont l’éclat est constant. Immortel. Cet ouvrage posthume nous convie, tels les poissons que pleure le ciel dans «Poisson-soluble», à honorer la mémoire d’un auteur trop vite disparu, à nous transformer en oiseau pour courtiser les mélodies stellaires: «Une fois sec, il s’est envolé, fragile, et pourtant gracieux. Il glissait dans la pièce, un fin bruissement, contrepoint au tambourinement de la pluie.»

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Joël Champetier
Lévis, Alire
2020, 570 p., 29.95 $