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Les démons du passé

Le docteur André Pereira est trouvé assassiné dans une clinique rattachée au CHUM. L’acte est particulièrement sauvage, l’infectiologue a été scalpé, mais le crime est «propre», en raison du peu de sang versé. Le sergent-détective André Surprenant, appelé sur les lieux, découvre des blocs de bois formant l’acronyme FLQ.

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Le docteur André Pereira est trouvé assassiné dans une clinique rattachée au CHUM. L’acte est particulièrement sauvage, l’infectiologue a été scalpé, mais le crime est «propre», en raison du peu de sang versé. Le sergent-détective André Surprenant, appelé sur les lieux, découvre des blocs de bois formant l’acronyme FLQ.

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Plusieurs éléments viennent troubler l’enquête: un témoin important — le dernier client du médecin —, un mystérieux personnage aperçu dans une ruelle, un ordinateur trafiqué. Sans compter que la victime est un ancien draft dogger américain qui a fui le service militaire de son pays à la fin des années 1960. Son passé se révélera passablement opaque: personne, même pas sa veuve, ne peut en dresser un portait précis. Quelles raisons l’ont incité à s’impliquer dans le mouvement indépendantiste? À entrer plus tard au CA du CHUM en pleine construction? Était-il un agent d’infiltration?

Un second meurtre survient. Un avocat à la retraite, père de la veuve de Pereira qui plus est, est retrouvé mort sur le mont Royal. Atteint d’un cancer en phase terminale, il était attaché à une firme liée aux activités du CHUM et aurait voulu se confier à Surprenant avant sa mort. Ses informations auraient été d’autant plus sensibles qu’il a été ministre dans le gouvernement Trudeau lors des événements d’Octobre 1970. Entretemps, le sergent-détective reçoit des menaces de sbires pas du tout amateurs de poésie. De qui sont-ils à la solde?

Pour ce nouvel opus, André Surprenant a quitté les Îles-de-la-Madeleine où nous l’avons connu dans les premiers romans de Lemieux. Il continue à s’adapter à l’univers montréalais et à son milieu de travail marqué par des tensions avec ses supérieurs. Il est maintenant en couple avec une ex-policière qu’il a connue aux Îles et même si elle comprend les exigences du métier, il y a des irritants, notamment des inquiétudes liées aux résultats à venir d’une biopsie. Surprenant a renoué avec son père — est-il vraiment son père d’ailleurs? — revenu de Californie, qui, avant d’aller bummer si loin et si longtemps, a eu des relations avec la pègre… et avec les gars du FLQ. Et sa mère qui lui dit que ce sont de «vieilles affaires», tout ça. Bref, une intrigue complexe habilement menée.

Is fecit cui prodest?

Jean Lemieux continue de superposer, entrecroiser ses histoires. Tout au long du roman, Surprenant se pose la question centrale de toute enquête: Is fecit cui prodest? À qui le crime profite-t-il? Ce ne sera pas tâche facile de le découvrir parce qu’il est de l’intérêt de plusieurs puissants que les portes restent bien closes et qu’on n’en retrouve jamais les clefs.
Il y a des parallèles à établir avec Opération Napoléon, d’Arnaldur Indridason. Dans les deux romans, il est question de secrets d’État, de pressions politiques, de désinformation, d’événements qui baignent toujours dans le mystère plusieurs décennies après leur déroulement. Au-delà de contextes fort différents, les deux auteurs accordent beaucoup d’importance aux lieux, aux caractéristiques des lieux. Une âme de géographe sommeille en eux.

Mais Les clefs du silence ne portent pas la cruauté du polar islandais d’Indridason. Il s’en dégage une forme de chaleur humaine qui laisse croire que la vie vaut toujours d’être vécue. Jean Lemieux est médecin: il a la sagesse de nous épargner l’étalage de ses connaissances en la matière, mais il démontre une manifeste empathie.

Ce polar confirme le talent de Jean Lemieux, talent qui s’est exprimé à plusieurs reprises dans ses romans antérieurs, entre autres par la qualité de ses trames, par leur densité psychologique. Cette fois-ci, son ambition a monté d’un cran, en plongeant dans une période sombre et trouble du Québec. Ainsi, l’insertion de cette trame historico-politique nourrit grandement l’histoire.

Sur le plan de l’intrigue, tout n’a pas été résolu, loin de là. La démonstration de la pourriture d’un système annonce la venue éventuelle d’un autre roman pour faire suite à celui-ci. Il est étonnant de voir l’auteur se livrer à une forme de règlement de comptes avec une certaine classe politique, adopter un ton parfois amer, parfois vindicatif. Lemieux ne nous avait pas habitués à cette critique sociale.♦

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Jean Lemieux
Montréal, Québec Amérique
2017, 364 p., 29.95 $