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Les confins d'un confint

Les confins d'un confint

Taqawan est une histoire de pêche, de celles que l’on ne raconte généralement pas. Un roman où le saumon devient personnage central et où l’origine de toute chose se remonte comme la rivière.
 

Roman

Taqawan est une histoire de pêche, de celles que l’on ne raconte généralement pas. Un roman où le saumon devient personnage central et où l’origine de toute chose se remonte comme la rivière.
 

Avant la crise d’Oka, la «guerre du saumon» de 1981 à la réserve de Restigouche avait déjà montré le choc entre un État incapable de reconnaître leurs droits aux Autochtones et une nation qui résiste pour perpétuer des traditions. Les Mi’gmaq, qui habitent en Gaspésie (la terre des confins) et vivent de la pêche au saumon, avaient alors été victimes d’un raid brutal de la Sûreté du Québec qui avait confisqué les filets des pêcheurs, emprisonné nombre d’Autochtones et insulté tous les autres, montrant du coup leurs préjugés. Éric Plamondon revisite cette période dans un roman qui a cependant trop de relents didactiques.

Écrire le passé

Éric Plamondon a beau avoir formé la trilogie 1984 sur trois figures clés du XXe siècle états-unien (Johnny Weissmuller, Richard Brautigan, Steve Jobs), et être passé maître dans l’art de l’allusion et de la connectivité, il est avant tout l’un des premiers écrivains québécois à aborder les années 1980 comme un temps nostalgique de conflits culturels, qui fait de la mémoire une expérience de télescopage, de décentrement et de recomposition de soi. Dans sa trilogie, Plamondon, à la manière d’Eduardo Galeano, fonctionnait à partir de courtes vignettes, d’instantanés, qui signifiaient par leur cumul et par leur contemporanéité. Jamais l’histoire n’était réécrite comme un tout; les morceaux s’aggloméraient à l’ensemble du cycle et le lecteur avait la tâche active d’établir les liens suggérés par l’auteur.

Taqawan reprend en partie cette structure narrative, comme le montrent les deux premiers chapitres. Le roman met d’abord en scène un autobus bloqué à l’entrée d’un pont ramenant les écoliers mi’gmaq à la maison. Certains d’entre eux s’en échappent et assistent ainsi à l’intervention violente de la police provinciale contre leurs parents. Le conflit est dès lors campé, mais cette scène, inspirée du documentaire d’Alanis Obomsawin (Les événements de Restigouche, 1984, ONF), est suivie d’un bref chapitre sur la première apparition télévisuelle, le jour même, de Céline Dion. Le lecteur est averti: artefacts et archives serviront à restituer un réel et celui-ci sera peint dans sa dimension kaléidoscopique.

Une œuvre de transition

Plamondon, en narrant à la fois la trajectoire d’une jeune fille de quinze ans happée par les événements, le parcours d’un agent de la faune qui démissionne au lendemain de la perquisition, et les interventions d’un anthropologue, situe certes l’événement historique, mais dans un cadre très large à partir de protagonistes marginaux du conflit. L’auteur cherche davantage à rétablir la cohérence d’une pratique traditionnelle autochtone: la pêche, avec ses légendes, ses usages, ses rituels. En découle une œuvre qui oscille constamment entre une érudition (parcours migratoire du saumon, retour à l’origine, étude des rivières québécoises,etc.) toujours bien synthétisée grâce à une écriture fluide, avec très peu d’adjectifs, et un désir de suivre un pan de l’histoire gaspésienne, de s’attarder à quelques protagonistes. Si le récit fictif prend le dessus sur les vignettes érudites à mesure que le drame se développe (et celui-ci réserve quelques surprises au lecteur), le va-et-vient demeure. Les apartés étaient le cœur de la composition de 1984, ils sont ici des addendas à une histoire qui aurait pu vivre sans eux.

Un territoire imaginaire

Plamondon réussit néanmoins fort bien à donner une épaisseur au territoire gaspésien; la baie des Chaleurs devient un monde en soi, avec son passé, sa diversité, ses conflits, ses rencontres, ses échappatoires. Les migrations des saumons répondent aux tribulations des protagonistes, avec une commune soif des origines, pas toujours bien cernée par les personnages. Ces fuites et rencontres répondent au portrait d’un savoir-faire autochtone abondamment décrit comme des «arts de faire» à la manière de Michel de Certeau (pétuner, chasser l’outarde,etc.). De la professeure française de passage dans la vallée de la Matapédia aux touristes états-uniens venus profiter des attraits locaux en passant par l’ermite contraint de sortir de sa cache, Taqawan brosse un territoire imaginaire de cultures qui gravitent autour de pratiques communes. En ce sens, il n’est pas surprenant de voir passer de multiples allusions au chef-d’œuvre d’Herman Melville, Moby Dick, qui a façonné notre rapport à la mer, à la pêche et à la diversité, et à Richard Brautigan.

L’écriture de Plamondon est toujours aussi efficace et précise, mais elle met en garde contre une parole qui tiendrait lieu de l’action, de la bonne conscience. Les mots sont toujours retournés, ramenés à un récit étymologique qui en montre le sens originel, parce que le risque est grand qu’ils finissent par modeler l’objet du discours, comme l’affirme le narrateur à partir du terme sauvage: «Il faut se méfier des mots. Ils commencent par désigner et finissent par définir.» L’entreprise de Plamondon consiste à rendre à nouveau fluides les mots de nos récits et ainsi écrire autrement notre rapport avec les Autochtones. C’est ambitieux, mais pas toujours incarné.♦

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Éric Plamondon
Montréal, Le Quartanier
2017, 224 p., 24.95 $