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L'enfance de force

L’auteur-compositeur-interprète Benoit Pinette (Tire le coyote) creuse son thème de prédilection – les stigmates de l’enfance – dans un premier recueil de poésie digne d’intérêt.

Poésie

L’auteur-compositeur-interprète Benoit Pinette (Tire le coyote) creuse son thème de prédilection – les stigmates de l’enfance – dans un premier recueil de poésie digne d’intérêt.

Nous connaissons l’une des couleurs lyriques de Benoit Pinette: cette voix si particulière servant admirablement ses tristesses. La thématique de l’enfance comme une écharde se débusque facilement dans son corpus. En chanson, le créateur de Désherbage (2017) transforme la douleur en expérience sensorielle puissante, à tel point que cette dernière semble indissociable de son propos. Le test maintenant: sa poésie peut-elle se passer du formidable et singulier canal de l’interprète?

La réponse est oui… dans une certaine mesure. Il y a, dans La mémoire est une corde de bois d’allumage, un apprivoisement de la souffrance qu’on ne trouve pas chez Tire le coyote. Si, en chanson, Benoit Pinette use d’une surenchère de la mélancolie somme toute complaisante (qui sied fort bien au genre, cela dit!), nous sommes plutôt ici les témoins privilégiés d’un combat pour la transcender. L’auteur n’expose plus sa douleur avec emphase, mais cherche à la brider. L’honnêteté de l’entreprise fait du livre un objet troublant, même s’il n’atteint pas toujours sa cible.

Le trauma des origines

Nous sommes dans un récit, celui d’un sauvetage annoncé. Le poète sépare habilement son recueil en trois parties narratives chronologiques, écrites à la première personne. La section initiale présente l’enfance comme un cul-de-sac, une prison terrible qu’on ne peut fuir: «je finis caché/dans un trou/à même mon cœur/rêvant d’une haie de cèdres/en forme d’oiseau».

Dans cet espace suspendu où tout est brisé, «le vent tourne/comme une défaillance» sans jamais altérer la morsure du non-amour à la petite semaine.

tous les jours je crève
plusieurs fois
à intervalles réguliers
sur l’asphalte
ou dans un ciel éteint
placardé d’une violence obscure

La deuxième partie aborde l’apprentissage de l’adulte meurtri, dans une soudaine et nouvelle lumière. On y suit l’homme dans les contradictions de la naissance, libéré du fardeau familial, mais piégé dans la permanence de l’impact.

Les décalages s’amorcent
dès la venue au monde
et toutes les promesses
crèvent les eaux
sur-le-champ
sans égard
à ce qui suit

Il lui faut se revisiter pour déceler la «mécanique des habitudes» et en prendre acte. L’espoir surgit à la fin de ce voyage initiatique: «mon avenir s’accommodera de sa descendance». Une porte qui annonce l’héritage à circonscrire dans les prochaines pages.

tout me rappelle
qu’un bourgeon porte une feuille morte
la vie un jour futur
en moins

 

la perte suggère toujours
une époque

La fabrication essentielle de la beauté

Bien sûr, l’écrivain a parfois le réflexe de s’emballer dans les mots. On le devine habité par ses images poétiques, qu’il accumule, et par le côté trop verbeux qu’on lui connaît. Qu’il est difficile de perdre ses habitudes! Or, c’est par l’économie de moyens que le poète touche à la grâce. Et il y arrive souvent: «je marche l’enfance/ce territoire colonisé». On se surprend à espérer un recueil où tous les vers auraient cette immense force de frappe. Lorsque «ça flambe/à l’embouchure de l’aube», l’auteur «veille la honte».

même si j’ai grandi
dans le déni des fleurs
je ne mourrai pas
en emportant le printemps

Dans le dernier volet de l’ouvrage, le volcan s’est endormi, le soleil se répare. La résilience est un défi sans cesse renouvelé. L’homme se vide de ses eaux noires, les laisse couler dans la rivière. Il se permet des rechutes: «le monde en équilibre/est une matière nouvelle/que je manipule avec soin».

Comme l’indique le très beau titre du livre, l’exercice de mémoire est une épreuve de feu. En sortir indemne est une chose; en faire quelque chose en est une autre. Certaines strophes auraient mérité d’être peaufinées, comme si Pinette nous avait livré des premiers jets ou des idées à exploiter: «feu de fausse joie/à l’assemblée familiale/la forêt brûle à ciel ouvert». Préciser les deux premiers vers aurait engendré un poème parfait. C’est que la force de frappe de La mémoire est une corde de bois d’allumage rend les lecteur·rices exigeant·es. Car il y a chez Benoit Pinette l’étoffe de la magnitude.

je respire
à côté de moi-même
en frottant
les cernes inaltérables
laissés sur mon histoire

Auteur·e·s
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Benoit Pinette
Saguenay, La Peuplade
2021, 104 p., 19.95 $