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Le regard humaniste des femmes

Le regard humaniste des femmes

Cet ouvrage d’entretiens dresse un état des lieux aussi révélateur que nécessaire.
Il comble une lacune importante, en recueillant les témoignages de femmes qui souvent travaillent «à la dure» dans le cinéma, un milieu encore gouverné par un boys’club.
 

Essai

Cet ouvrage d’entretiens dresse un état des lieux aussi révélateur que nécessaire.
Il comble une lacune importante, en recueillant les témoignages de femmes qui souvent travaillent «à la dure» dans le cinéma, un milieu encore gouverné par un boys’club.
 

De la littérature au cinéma, la présence des femmes s’affirme d’une manière fort différente au Québec. Très actives sur la scène littéraire depuis plusieurs décennies, où elles connaissent un rayonnement local et international, les femmes le sont beaucoup moins dans le domaine cinématographique. Et pourtant, elles sont nombreuses à amorcer des études universitaires dans un programme de cinéma. Si les talents et les idées ne manquent pas chez les réalisatrices, comment expliquer leur quasi-absence? Qu’est-ce qui fait qu’elles abandonnent souvent leurs projets de films pour se tourner vers autre chose?

Dans Le cinéma québécois au féminin, Céline Gobert et Jean-Marie Lanlo soulèvent ces difficiles questions en recueillant les témoignages de sept femmes qui œuvrent dans le milieu depuis quelques années ou plusieurs décennies: Sophie Deraspe, Jessica Lee Gagné, Izabel Grondin, Isabelle Hayeur, Nicole Robert, Chloé Robichaud et Ségolène Roeder. Faisant suite à l’ouvrage Le cinéma québécois par ceux qui le font (que Lanlo avait codirigé avec Martin Gignac), publié chez le même éditeur en 2016, Le cinéma québécois au féminin dévoile les dessous d’un métier difficile à conquérir pour les femmes.

Une hégémonie masculine

La majorité des créatrices interviewées s’entendent sur les points suivants: les femmes ne prennent pas assez leur place dans le cinéma québécois, le métier (ainsi que celui de la publicité, par exemple) reste sous le joug des boys’club et le financement des projets est souvent dérisoire. De plus, il faut être vraiment forte pour devenir réalisatrice… Isolées dans le cinéma d’auteur, acculées au second rang par les producteurs et les distributeurs qui misent surtout sur les hommes en tant que réalisateurs et têtes d’affiche, des valeurs sûres dans un milieu restreint et fragile, les femmes œuvrant dans le cinéma québécois sont pourtant remplies de talents et de projets.

Il reste que, de nos jours, le cinéma demeure un «carcan» ou un domaine très «niché». «Inconsciemment, les histoires portées par les hommes vont davantage nous intéresser que les histoires portées par les femmes. On cherche des héros. On a tous été bercés par les grands archétypes que sont la force, la conquête et le désir, qui sont plus difficiles à aborder d’un point de vue féminin», avance Ségolène Roeder, directrice générale de l’organisme Québec cinéma. Pour cette raison, lorsque le grand public pense aux œuvres majeures du cinéma québécois, les premiers noms qui viennent spontanément à l’esprit sont souvent ceux de Gilles Groulx, Claude Jutra et Pierre Perrault. Des pionnières telles que Mireille Dansereau, Anne-Claire Poirier et Paule Baillargeon sont reléguées au second plan, leurs films étant perçus davantage comme militants qu’esthétiques en raison de la période politisée qui les a vus naître. Au fond, des films comme La vie rêvée et Mourir à tue-tête semblent plus novateurs, sur le plan des sujets choisis et de la forme privilégiée, que des œuvres telles Le chat dans le sac et À tout prendre. Serait-ce parce qu’il s’attarde à des sujets plus difficiles et moins séduisants que le cinéma féminin se classerait au deuxième rang?

Une position humaniste

Mais il n’y a pas que les réalisatrices qui peinent à se tailler une place significative dans le cinéma d’ici. Autre aspect abordé dans cet ouvrage, les personnages féminins sont souvent lacunaires ou, encore, ils frôlent le cliché. Peu se dégagent de l’image traditionnelle de la femme-objet dans les films réalisés par des hommes. D’ailleurs, les films centrés sur des femmes qui se dégagent de la norme et qui remportent un succès commercial, tels que Sarah préfère la course (2012) de Chloé Robichaud et La passion d’Augustine (2015) de Léa Pool, sont considérés comme de véritables exceptions. Selon les codirecteurs de l’ouvrage, l’ensemble de ces difficultés traduirait «de réels dysfonctionnements sociétaux liés à la place de la femme et à certains préjugés d’un autre âge, qui semblent pourtant encore présents».

En parallèle, il est pour le moins intéressant de constater que dans les films documentaires et de fiction réalisés par des femmes, la diversité et la représentation de la réalité sont à l’honneur. De La vie rêvée (1972) de Mireille Dansereau à Mariages (2001) de Catherine Martin, les femmes ont tendance à s’ouvrir davantage au rapport à l’autre et aux complexités des rapports familiaux et amoureux. De manière générale, «les femmes se mettent dans une position plus humaniste, favorisent le dialogue avec l’autre». De plus, les cinéastes des nouvelles générations proposent une vision plus ancrée dans la réalité que leurs pairs masculins, où la sexualité féminine est libérée des normes sociales et du joug patriarcal, et où la violence et le divertissement ne figurent pas au premier rang.

Si ce livre d’entretiens s’apparente par moments à un exercice didactique, notamment parce que chacun s’ouvre sur la même question («Quelle est la place des femmes dans le cinéma québécois?»), il présente l’immense intérêt de valoriser la parole et le travail des femmes sans sombrer dans un discours revendicateur et dépourvu de nuances.♦

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Céline Gobert, Jean-Marie Lanlo
Montréal, L'instant ciné
coll. « Entretiens »
2017, 127 p., 19.95 $