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Le regard comme point de départ

Le regard comme point de départ

Le recueil de nouvelles d’Éric C. Plamondon, publié aux éditions Sémaphore, a pour titre Bizarreries du banal. Pourtant, il n’y a rien de banal dans les histoires que raconte l’auteur. «Bizarreries» aurait suffi, ou alors «Bizarreries du réel».

Nouvelles

Le recueil de nouvelles d’Éric C. Plamondon, publié aux éditions Sémaphore, a pour titre Bizarreries du banal. Pourtant, il n’y a rien de banal dans les histoires que raconte l’auteur. «Bizarreries» aurait suffi, ou alors «Bizarreries du réel».

Car ce sont des fragments de réalité qui captent d’abord l’attention de l’écrivain: ils servent de déclencheurs à son imaginaire, qui s’ouvre sur des mondes insolites. Si l’on est soi-même curieux·se, on prend plaisir à le suivre, à découvrir la façon dont l’inhabituel et le singulier se déploient, et comment tous les éléments des récits – situations, actions, personnages, voix narratives – contribuent à construire la logique de cette étrangeté.
Les univers sont bien structurés, complexes; les chutes, plus que satisfaisantes.

Il n’y a aucune analyse approfondie des protagonistes: ils participent simplement au déroulement de l’intrigue. Il n’y a pas non plus d’envolées stylistiques. La langue est précise, efficace. Elle donne à voir des univers qui n’existent pas et convainc les lecteur·rices qu’ils pourraient exister.

Ce n’est jamais sans danger lorsqu’un auteur promet d’étonner: il ne faut pas qu’il déçoive, que ce qu’il a mis en scène tombe à plat. Il sera jugé en grande partie sur sa capacité à surprendre, à faire apparaître ce qu’on ne pressentait pas.

Des mondes à visages multiples

Pour ma part, j’ai préféré les longues nouvelles aux plus courtes, dont la bizarrerie tient presque exclusivement à un dénouement de quelques lignes où la réalité s’inverse, à la manière de Julio Cortázar dans Les armes secrètes (1959). Je n’ai rien trouvé là de très original.

En revanche, des textes comme «Le reliquaire», «L’actrice» et «Le visage», pour ne nommer que ceux-là, m’ont tenue en haleine. J’ai eu l’impression qu’ils contenaient une part de vérité qui m’intriguait – ou du moins, que ce qui les avait inspirés était vraisemblable, mais se dissipait dans la fiction. Surtout, je me suis demandé comment Éric C. Plamondon allait arriver à boucler ses histoires sans me laisser sur ma faim. Pour ne pas gâcher le plaisir d’éventuel·les lecteur·rices, je dirai simplement qu’il a réussi. Les univers sont bien structurés, complexes; les chutes, plus que satisfaisantes. On ne les oublie pas, et c’est heureux, parce que dans une nouvelle, la fin est aussi importante que la totalité de ce qui la précède.

La banalité, enfin!

À la dernière page du recueil, l’auteur invite son lectorat à consulter une section de son site personnel, consacrée à ce qu’il nomme «la genèse» de ses récits. Toujours à la recherche de cette part de vérité que je soupçonnais, j’ai évidemment répondu à l’appel et découvert où se trouvait le banal, que Plamondon avait jugé nécessaire d’inscrire dans son titre. Ce n’était pas dans ses histoires, mais dans ce qui avait mené à leur création.

«Ascenseurs», par exemple, s’inspire d’un événement anodin: l’écrivain, qui attendait dans un hall d’entrée, a vu un homme «se diriger vers la porte de l’un des trois ascenseurs de l’immeuble… qui s’est ouverte devant lui.» C’était une coïncidence, bien sûr, mais l’auteur a pensé que cela aurait pu ne pas en être une. À partir de ce moment, la nouvelle s’est écrite presque toute seule.

Le sujet de «L’actrice» lui a été suggéré par «un reportage à la télé, qui parlait de chercheurs canadiens qui avaient créé un esprit frappeur – Philip – qui s’exprimait lors de séances de table tournante». Les scientifiques ont été remplacés par Mary, une actrice qui se laisse envahir par ses personnages, et le procédé, méticuleusement décrit, conduit à un dénouement… pas banal.

Quant aux «Lunettes», c’est le fils de Plamondon qui, un beau jour, lui en a proposé le thème. «J’ai une idée pour une de tes histoires: des lunettes qui permettent de retrouver des choses». De cette petite phrase est né un texte de seize pages, qui ferait rêver quiconque perd à répétition des objets utiles ou précieux – et même, parfois, des personnes aimées, qui disparaissent sans dire au revoir.

Je suis rarement attirée par les making of: l’œuvre, en général, me suffit. Pourquoi ce soudain intérêt pour celui de Bizarreries du banal? Sans doute parce que je voulais savoir de quoi se nourrissait l’imaginaire très particulier d’Éric C. Plamondon: non pas tant d’émotions, il me semble, que du désir de rendre le monde et la réalité plus foisonnants, plus captivants; du besoin, en somme, de s’extraire du banal, auquel on peut difficilement échapper,
à moins de bizarreries.

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Éric C. Plamondon
Montréal, Sémaphore
2022, 192 p., 26.95 $