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Le plaisantin et sa plaisanterie

Le plaisantin et sa plaisanterie

À travers une forme composite, Chambre minimum, de Frédéric Dumont, explore une trivialité lancinante que le geste d’écrire tente en vain de s’approprier. Or, à force d’investir la banalité, il devient délicat de ne pas y tomber.

Thématique·s
Poésie

À travers une forme composite, Chambre minimum, de Frédéric Dumont, explore une trivialité lancinante que le geste d’écrire tente en vain de s’approprier. Or, à force d’investir la banalité, il devient délicat de ne pas y tomber.

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D’Évènements miteux (Ta Mère, 2009) à Chambre minimum, en passant par Volière (L’Écrou, 2012; réédité aux Herbes rouges en 2021) et Je suis célèbre dans le noir (L’Écrou, 2019), Frédéric Dumont arpente une même obsession, une même maladie, une même mélancolie. Sa poésie courbe l’échine sous le poids d’un quotidien absurde et aliénant. Dumont permet aux choses sans importance d’entrer dans l’imaginaire; personne, pourrait-on dire, ne le fait mieux que lui. Si bien que lorsque nous parcourons ses titres, l’impression irréelle de lire encore et toujours le même livre, réécrit sous différentes formes, nous saisit. Avec Chambre minimum, le poète aurait-il épuisé la pertinence de sa fascination pour le rien, la vétille, la blague?

L’insignifiance

Portant par moments sur lui-même, le poème est conscient de son stratagème. Chambre minimum constitue un jeu, un pari entre poète et interprète, une course à l’absurdité. En s’enracinant si fermement dans le thème de l’insignifiance, l’écriture nous apparaît paradoxalement en quête de sens. En effet, coucher la vacuité sur papier, qui plus est dans un langage aussi imagé que celui de la poésie, la charge d’une seconde signification, la retourne sur elle-même pour la faire entrer dans un registre singulier: «si tu démontes l’appareil de tristesse / tu verras plusieurs mots / ce sera juste des mots / des baraques à mouches / des mots». Ces mots quotidiens, habituels et sans message, construisent le recueil. Dans leur ronde et leur évocation obsessionnelle, ils charrient un tout autre sens, celui de l’incertitude, de l’indétermination, de l’embarras: «Mon cercueil est ma blague / et ma blague pense». Une culbute sémantique audacieuse, une plaisanterie qui peut rapidement tomber à plat, un arroseur arrosé.

La narration de cette singulière banalité, qui étonne et fascine en début de lecture, s’essouffle tôt. Les récits que portent les poèmes ainsi que la forme qui les présente s’en retrouvent malheureusement affectés. Les vers et leurs structures n’évitent pas le lieu commun contemporain de l’écriture identitaire, supportée par une parole qui se complaît dans son trouble et son accablement:

Il se joue quelque chose d’important
    entre nous.
Moi je suis genre petit laid petit laid.
Où est passée la quatrième tristesse?
Autobiographie de quel organe?
Moi peu.
L’histoire ne progressera jamais si je
    reste dedans.

Les murs ont des oreilles

Justement titré, Chambre minimum donne à lire une langue cloîtrée dans un environnement. Recluse malgré elle dans cette chambre, qu’elle soit figurative ou non, l’énonciation est forcée de s’exprimer à partir d’un endroit tissé d’intériorité, d’enfermement et d’égarement: «chaque personne hurlée / et tirée aux rideaux / est un coloriage ambulant // je n’ai pas envie de tenir / ce vieux poème // céder crâne aux mots anciens // ma chambre est le seul mot». La bêtise et l’absurdité de la phrase semblent les seules armes pour échapper aux contraintes du quotidien. C’est en elles que le poème trouve une liberté, ouvre sur une sorte de grand espace, un envers à sa prison.

Ainsi, le caractère changeant de la forme du recueil participe à la construction d’un objet poétique cohérent dans son éclectisme. Oscillant entre une prose dense, des vers courts, des strophes aérées, des silences et de l’empressement, la versification est l’esclave d’une poésie imposant son allure: «Non, mais j’aime / que cela soit dit à ce rythme-là. Le / rythme c’est vivre et vivre je le fais / tant que je le fais.» Aucune des parties de Chambre minimum n’obéit à la moindre loi, mise à part celle de la fuite par et dans l’écriture: «Qu’il coagule dans sa manœuvre, / je me dis. Le poème, qu’il coagule / sans enquête.»

Boomerang

Le paradoxe d’une insignifiance signifiante et la contradiction d’une futilité amusante sont deux procédés surinvestis par Dumont dans Chambre minimum. Les images qui en découlent, bien qu’elles pointent le doigt vers le comble de la quotidienneté, s’en retrouvent immédiatement saturées, et ce, malgré une structure poétique impeccable et une sensibilité littéraire indéniable.

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Frédéric Dumont
Montréal, Les Herbes rouges
2022, 152 p., 21.95 $