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Le livret de la reine sourde

Le livret de la reine sourde

Véritables mémentos, les récits du plus récent livre de Michel Tremblay, paru chez Leméac, offrent des parcelles d’une vie marquée par les airs qui l’ont portée.

Thématique·s
Récit

Véritables mémentos, les récits du plus récent livre de Michel Tremblay, paru chez Leméac, offrent des parcelles d’une vie marquée par les airs qui l’ont portée.

Thématique·s

L’automne dernier, pour la première fois, j’ai enseigné Michel Tremblay dans un cours de littérature au cégep. De toutes les œuvres au programme, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (Leméac, 1971) est celle qui a le plus séduit les étudiant·es. Entre la langue et l’imaginaire singuliers de l’auteur, c’est peut-être le parallèle avec l’univers opératique qui m’a permis d’en parler avec engouement. De par la trame tragique, l’usage des registres de voix, le juste accord entre les mots et le rythme, l’écriture de Tremblay entretient une connivence avec l’opéra. Elle met en relief ce que peuvent ouvrir une mélodie, un chant, un spectacle dans le cœur d’un sujet qui se tait et tend l’oreille. Offrandes musicales est une réjouissance pour la lectrice qui croit, plus qu’aux influences mutuelles de ces deux formes d’art, à l’indissociabilité et au lien de nécessité entre la littérature et la musique.

Un si beau thème, une si belle phrase

Tremblay nous présente son programme musical. Divisé en trois parties – «Sanglots», «Rires», «Épiphanies» – et se terminant par les traditionnelles «Deux codas», le texte nous fait traverser les temps et les lieux des événements à la fois intimes et spectaculaires qui ont touché l’auteur. C’est au plus creux de la pandémie actuelle que débute le recueil, où nous retrouvons le narrateur confiné chez lui devant un DVD de l’opéra Madama Butterfly, de Puccini. Ce contexte initial se présente comme le catalyseur des pages qui suivent; comme si l’endroit clos de l’appartement faisait écho à l’espace de la musique, celui d’un ultime refuge ou d’une échappatoire.

Ce qui plaît et parle à l’imaginaire de la lectrice, c’est justement ce va-et-vient non chronologique des différents récits entre les chambres d’hôtel, les arrière-boutiques et les salles de spectacle de Montréal, New York, Paris et Key West, de 1954 à 2021. C’est la possibilité – romantique – qu’elle soit témoin par procuration d’un temps et d’une effervescence qu’elle n’a pas vécus; qu’elle se représente, à travers la plume de l’écrivain, quelque chose comme l’essence de l’événement musical. L’effet est vif devant la prestation de la «vampire de velours» (Barbara), «les adieux de la diva à sa ville d’adoption» (Céline), ou bien la débâcle du Chanteur de Mexico (Luis Mariano).

Opera Queen

Au-delà de la fascination, les récits de Tremblay sont l’occasion d’une chronique d’humeur et de goûts musicaux. «Comme tous les opera queens», l’auteur cultive le raffinement, qui s’exprime parfois par l’intolérance «à tout ce qui [lui] déplaî[t]». Il détaille ses préférences et fait montre de la connaissance experte de ses objets de choix:

[J’]avais mes favoris, des chanteuses, des chanteurs, des metteurs en scène, des chefs d’orchestre qui savaient aller chercher en moi ce qu’il y avait de plus sensible, de plus vulnérable, et que je laissais avec un plaisir presque masochiste me manipuler.

Est remarquable l’habileté de son écriture à saisir l’état que peut susciter une musique précise: le «mélange de fureur et de ravissement» devant un spectacle improbable, la «reddition […] rapide et totale» au chant de celle qu’on se refusait d’aimer, ou encore l’«état malsain et dangereux» dans lequel nous plonge une œuvre de Tchaïkovski.

Si le pouvoir de la musique est à l’image de cet homme, à la terrasse du Départ à Paris, «assis là, absent à [lui]-même, un trou dans le cœur», c’est que celle-là se répercute dans la chambre d’écho de l’écriture. Parmi la variété d’anecdotes, comme autant de variations sur un thème, celle qui nous apprend qu’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou est née d’une représentation inespérée des quatuors nos1 et 2 de l’opus 51 de Brahms, à New York, recèle ce que l’écrivain reprend du symbole de l’offrande: un don sacré à ses lecteur·rices, qui sauront apprécier cette histoire d’origine et d’inspiration. Le délice mystique que procure la musique lorsqu’elle nous pénètre est le sujet et parfois l’effet d’Offrandes musicales.

Tremblay, qui confie avoir depuis peu perdu l’ouïe à la suite d’un accident malheureux et d’une opération, rend hommage à cet art et à ces artistes qui lui ont permis de «s’exprime[r] en hurlements, en larmes, en coups de poing sur le tapis». Parce qu’elle lui donne l’occasion de se «vide[r] de tout ce dont [il n’a] pas pu se débarrasser» et de déverser l’amour qu’il garde par crainte de le perdre, la musique s’avère chevillée à l’écriture. Ainsi, du cœur au tympan troué, Offrandes musicales crée un passage vers le lectorat désireux de s’émouvoir.

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Michel Tremblay
Montréal, Leméac
2021, 168 p., 19.95 $