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Le deuil disséqué à froid

Le deuil disséqué à froid

Dans une langue complètement différente de celle à laquelle elle avait habitué son lectorat, Georgette LeBlanc offre un recueil solide qui porte sur la mort de son père et renouvelle l’univers créatif de la poète acadienne.

Thématique·s
Poésie

Dans une langue complètement différente de celle à laquelle elle avait habitué son lectorat, Georgette LeBlanc offre un recueil solide qui porte sur la mort de son père et renouvelle l’univers créatif de la poète acadienne.

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Depuis la parution de son premier livre en 2006, Georgette LeBlanc est considérée comme une valeur sûre dans le paysage littéraire acadien. Si Alma constitue encore la meilleure production poétique du nouveau siècle en Acadie, les titres suivants, Amédé (2010), Prudent (2013) et Le grand feu (2016), tous lancés aux éditions Perce-Neige, creusent dans les mêmes sillons de la langue de la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, l’acadjonne. Récemment, l’autrice a remporté le Prix du Gouverneur général pour la traduction vers le français de l’ouvrage Océan (Perce-Neige, 2019), de Sue Goyette. Fait à noter, LeBlanc avait proposé deux versions de la traduction: la première en français normatif, la seconde dans la langue de son coin de pays. C’est cette dernière qui a été publiée et primée.

Je suis de ces lecteur·rices de LeBlanc qui avaient fini par se lasser de sa manière. La nouveauté des thèmes historiques, racontés dans une poésie narrativisée aux accents de la région de Clare, avait perdu de son attrait au fil des recueils. Or, avec la publication de Petits poèmes sur mon père qui est mort, l’écrivaine propose son livre le plus personnel: il surprendra les inconditionnel·les de son œuvre.

Une langue sans artifice

Le titre du recueil donne le ton à l’ensemble. La poète a rédigé un livre en français normatif (ou presque) dans lequel il n’y a pas de distinction entre l’autrice et la locutrice. Le père de Georgette LeBlanc, décédé en 2015, est le point de départ et d’arrivée de la suite poétique. Sans être prosaïques, les textes ne comportent pas les métaphores, les comparaisons et les autres effets stylistiques que l’on trouve dans les offrandes précédentes de l’écrivaine. Les vers inauguraux donnent un bon exemple de la façon dont LeBlanc aborde le rapport à son père.

Mon père
n’existait pas avant
moi. Mon père est né en même
temps, le même jour;
son âge au moment
de la naissance, différent du mien

La majorité des textes repose sur l’anaphore «Mon père», alors que le «je» entremêle des souvenirs plus intimes et des faits divers provenant de la mythologie familiale. Pour les lecteur·rices qui ne le sauraient pas, le recueil Alma fait référence à la grand-mère maternelle de LeBlanc, qui revient, l’instant d’un vers, dans le rôle de la belle-mère de ce père mort. D’autres poèmes puisent dans le quotidien du père dans l’histoire de la fille.

Le diagnostic à froid

Lorsqu’on évoque le deuil, on risque de tomber dans le pathos. C’est plutôt le contraire qui se produit dans ce livre. La locutrice se place souvent à distance, ne se laissant jamais emporter par l’émotion. Il n’est en ce sens pas surprenant que L’étranger (1942), d’Albert Camus, constitue la seule référence intertextuelle du recueil. LeBlanc témoigne de cette mort avec un détachement certain. Elle raconte des moments de la vie de son père, dispersant çà et là de rares envolées plus lyriques: «La vérité c’est qu’il y a des pleurs / de toutes sortes. Ils peuvent / tomber, couler invisibles, laisser son corps / la côte de ton corps ravagée.»

Cet ouvrage fascine par sa formidable unité. Si Meursault n’a jamais trouvé de sens à l’existence, LeBlanc arrive au même constat au sujet de son projet sur son père, disparu trop tôt:

mais ici, rien ne se suit. Il n’y a pas de
    montée,
de crescendo, de catharsis. Ce n’est pas
    un dernier
tableau de son vivant. Je ne le fige pas
    dans/par
le texte/l’acte
d’écriture. Je ne pourrais pas. Je ne
    peux pas.
Il est mort.

On pourra reprocher au livre sa brièveté (une quarantaine de textes qui s’engouffrent en moins d’une heure), mais il faut souligner la prise de risque assumée par l’écrivaine, qui emprunte un sentier inexploré. Dans son rapport à la fois intime et pragmatique avec ce père décédé, LeBlanc s’ouvre plus que jamais à la réalité de l’irrémédiable. La lecture ne peut être bouleversante, car le sujet ne le permet pas. Ainsi, le lecteur se sent souvent comme un observateur à distance de la relation entre la fille et son père, mais ce sera un moyen pour lui d’appréhender à sa façon le départ inéluctable de son propre père. À lire.

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Georgette LeBlanc
Moncton, Perce-Neige
2022, 64 p., 24.00 $