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Lavez votre linge sale dans le ring!

Lavez votre linge sale dans le ring!

Dans un deuxième roman qui a l’emprise d’une clé de bras bien placée, Mathieu Poulin prouve encore une fois que c’est souvent en pensant dire des conneries qu’étrangement, on échafaude les propos les plus pertinents (et vice versa).

Roman

Dans un deuxième roman qui a l’emprise d’une clé de bras bien placée, Mathieu Poulin prouve encore une fois que c’est souvent en pensant dire des conneries qu’étrangement, on échafaude les propos les plus pertinents (et vice versa).

Qui d’autre que Poulin aurait pensé à écrire Des explosions (Ta mère, 2015), un livre dont le but avéré est de défendre l’idée selon laquelle Michael Bay, le réalisateur par excellence de films où l’action tient lieu de trame narrative (Transformers, Armageddon et tutti quanti), serait en réalité un brillant penseur qui aurait dissimulé dans chacune de ses œuvres un sens caché à l’attention de l’initié capable de le reconnaître? À mon avis, personne, et c’est bien normal. Sauf que Poulin fait dans le paranormal: il arrive à disserter extensivement sur des navets, à nous les faire presque aimer, puis il pousse l’audace un brin en disant quelque chose d’important à partir d’un tissu de foutaises admirablement tissées. Alors non, je ne connais personne d’autre qui puisse penser à ça et ensuite le formuler avec brio. C’est pour cette raison que j’étais particulièrement enthousiaste quand j’ai appris la parution prochaine de La lutte. Je ne me doutais pas toutefois que son auteur était mûr pour un surclassement.

Syndiquer la descente du coude

Avec ce nouveau roman, Poulin va encore plus loin, se servant de la lutte comme d’un théâtre pour exposer les lignes de faille de la société québécoise. «La lutte?», vous entends-je déjà. Vous voulez dire ce sport arrangé où des culottés luisants font semblant de se livrer un combat sans merci pour le ravissement d’un public raffolant de l’accord hot dog et violence gratuite? Oh, mais c’est que vous êtes de mauvaise foi ou alors vous méritez une mise au point de Psycho Lily!

— Hey, bravo… vous avez tout compris! […] Non mais on s’en torche-tu le trou du cul que ça soit arrangé ou pas? […] Le but de la lutte, c’est de donner un bon spectacle, de raconter des histoires, pis à part peut-être les enfants, y a personne qui est dupe par rapport à ça. […] La suspension de l’incrédulité, qu’on appelle ça, vous irez voir sur Google.

Quand Psycho Lily décide de nous prodiguer ses lumières, le fanal est toujours accompagné de la brique, mais n’empêche, ça éclaire! Pour vous situer un peu, Psycho Lily, c’est une lutteuse de Saint-Henri, aussi passionnée et talentueuse que son chum, le Professeur Douleur, mais payée moitié moins. Le jour où le Prof se casse la jambe lors de la finale du championnat, au cours de laquelle il aurait dû remporter la ceinture, elle se met à paniquer en imaginant les mois sans solde à venir, d’autant plus qu’elle ne va pas tarder à apprendre qu’elle est enceinte. La solution à cette crise familiale peut-elle se trouver du côté de l’amélioration générale des conditions de travail de ces artistes au statut précaire? Joé Justice, incarnation du militant dans le ring et ami du couple, le pense, et il est prêt à insister autant qu’il le faudra pour sortir le Prof de sa torpeur en l’incitant à fonder un syndicat de lutteurs. L’ennui, c’est que le Prof est un pro du défilement. Saura-t-il, cette fois-ci, se prendre en main?

La lutte comme miroir de la société québécoise

Derrière ce roman déjà formidablement divertissant se cache un portrait étonnamment juste et nuancé de la société québécoise. Plus clivée que jamais, celle-ci se révèle dans ses oppositions, ses paradoxes et ses impostures. Le Gros Bon Sens s’oppose avec véhémence à toute forme d’intellectualisme, les Payeurs de taxes rechignent devant toute forme de solidarité, et les Patriarches n’attendent que la moindre incartade pour administrer la fessée à leur paresseuse et sentimentale progéniture. Imaginez-vous un souper de Noël en famille, ajoutez un peu de boisson, une pincée de politique et vous obtiendrez la zone de guerre qui sied aux affrontements de sous-sols d’église. La lutte est ici le meilleur des catalyseurs, et ses mises en scène tape-à-l’œil parviennent admirablement bien à démontrer l’absurdité des pseudo-concepts ânonnés en ondes à longueur de journée et qui servent de pensée à la majorité silencieuse. S’il faut qu’une partie du Québec en déteste une autre (et réciproquement), que ces deux parties de la population apparaissent plus que jamais irréconciliables, autant que la bastonnade soit rigolote: ainsi, il nous sera donné de conserver une petite part de l’adn québécois! Pour cela et bien d’autres raisons encore, remercions Mathieu Poulin!

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Mathieu Poulin
Montréal, Ta Mère
2019, 342 p., 28.00 $