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L'aurore aux doigts brûlés

Et si les oiseaux disparaissaient et étaient remplacés par des congénères mécaniques? Et si le Québec était devenu un chef de file dans le milieu du développement spatial?

Littératures de l'imaginaire

Et si les oiseaux disparaissaient et étaient remplacés par des congénères mécaniques? Et si le Québec était devenu un chef de file dans le milieu du développement spatial?

Voici deux des prémisses étonnantes des Oiseaux des temps présents, premier roman de Maxime Plamondon. La quatrième de couverture situe l’intrigue dans un Québec onirique, quoique les termes «postapocalyptique» ou «uchronique» me paraissent plus appropriés. Ce choix découle possiblement du fait que l’époque dépeinte par l’écrivain est invraisemblable: nous sommes autour de 2023-2025, tandis que les fusées volent vers Mars et la Lune depuis quelques décennies. Sept-Îles est désormais la métropole de la province, et les églises ont été converties en observatoires stellaires: «Les affaires du ciel sont les seules que les Québécois savent vraiment brasser. Depuis le début.»

Les changements climatiques constituent l’un des éléments phares de cette surprenante publication, au croisement du roman d’imaginaire, du récit d’aventures absurdes et de l’essai fictif. À l’intrigue centrale s’amalgame un documentaire/manuel d’ornithologie sur l’extinction des volatiles, comportant aussi la description de leurs successeurs mécaniques. J’ai pensé tantôt à Trou l’immortelle (La Mèche, 2021), de Camille Thibodeau, pour le côté fantaisiste, déjanté – et fluvial! –; tantôt à Saint-Jambe (VLB éditeur, 2018), d’Alice Guéricolas-Gagné, pour la forme imitant le documentaire et la présence d’une ville de Québec partiellement submergée; tantôt à Une fille pas trop poussiéreuse (Stanké, 2019), de Matthieu Simard, dont le narrateur arpente les ruines solitaires de demain en se moquant de tout, y compris de lui-même.

La confiance des oiseaux

Le narrateur comique des Oiseaux des temps présents, Télémaque/Jean-Guy (j’y reviendrai), s’exprime dans un langage oral, coloré, franc et spontané, néanmoins mâtiné de poésie: «La vie se tisse dans les contreforts de l’écume.» Le personnage connaît la mythologie, au cœur du livre et à l’origine du prénom qu’il pense être le sien, Télémaque (alors qu’en réalité, il se nomme Jean-Guy). Précisons que le père du narrateur, passionné de mythologie grecque façon Odyssée, d’Homère, était, avant l’apocalypse, directeur de l’important centre spatial de Blanc-Sablon (oui, Blanc-Sablon, à l’extrême est de la Basse-Côte-Nord).

La constance, la maîtrise de cette voix mi-orale, mi-poétique, est l’une des réussites de cette œuvre, qui aborde avec inventivité le langage. Proposer des graphies différentes de certains noms de dieux ou de scientifiques, comme Héraclesse et Arèsse – tandis que d’autres demeurent inchangées: pourquoi? –, semble toutefois superflu dans ce projet déjà foisonnant. Mais considérons qu’il s’agit d’un premier roman, ambitieux de surcroît, qui laisse dans l’ensemble admiratif et qui aurait pu mériter le prix Robert-Cliche, à l’instar de Saint-Jambe, mentionné ci-dessus.

Le sanctuaire des étoiles

Au cours d’une sortie dans la ville dépeuplée, Télémaque/Jean-Guy recueille un oiseau mécanique, qu’il baptise Tipitte. Ils développent une amitié profonde: il s’agit de la relation la plus touchante et la plus vibrante au sein de ce projet littéraire plus conceptuel que sensoriel. Car les assises de cet ouvrage résident dans le style, la réflexion écologique et le jeu d’alternance entre les formes hybrides – sans oublier la possibilité de découvrir une Côte-Nord dévastée et mythologique. Le voyage du narrateur de Québec à Blanc-Sablon m’a paru quelque peu synoptique: j’aurais préféré sentir davantage son avancée – le périple «à la Ulysse» – ainsi que les reliefs des régions traversées, version fin du monde. Les personnages secondaires, souvent esquissés et similaires, m’ont aussi semblé manquer de profondeur.

L’ensemble des protagonistes sont d’ailleurs masculins, oiseau de compagnie mécanique inclus. L’unique mention d’une femme le moindrement significative pour Télémaque/Jean-Guy est sa mère, une danseuse nue qui l’a abandonné après sa naissance. Le narrateur ne possède ni amis, ni connaissances, ni collègues, ni beaucoup de passé. Il se retrouve par conséquent surtout cantonné dans sa «voix», souvent colérique. La genèse de son courroux de même que la formation de son identité, de sa singularité, auraient mérité d’être déployées plus avant.

Roucouler de tous ses engrenages

Les oiseaux des temps présents est une œuvre à découvrir pour l’expérience insolite qu’elle offre et pour la transposition contemporaine de récits mythologiques grecs. Elle propose «une réconciliation avec ce qui vole, avec ce qui rêve». Ceux et celles qui, comme moi, ont aimé l’Odyssée se joindront avec enthousiasme à Télémaque/Jean-Guy dans sa quête nord-côtienne, également un voyage initiatique. Si vous appréciez l’absurde, le dépaysement, l’inattendu, le prochain aller simple vers l’astre sélène, accompagné des «oiseaux-machines», doit être réservé de manière imminente.

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Maxime Plamondon
Montréal, Tête première
2021, 320 p., 27.95 $