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L'amertume des jelly beans

L'amertume des jelly beans

Publié dans la collection « Écarts » des Éditions Druide, dirigée par Normand de Bellefeuille, le premier roman de Virginie Francœur, Jelly Bean, n’est pas ce qu’on peut appeler une réussite.

Thématique·s
Roman

Publié dans la collection « Écarts » des Éditions Druide, dirigée par Normand de Bellefeuille, le premier roman de Virginie Francœur, Jelly Bean, n’est pas ce qu’on peut appeler une réussite.

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L’occasion était belle, pourtant, de proposer une intrigue saisissante sur un sujet toujours d’actualité : la réalité des femmes dans le milieu des bars de danseuses nues. Mais l’univers dépeint par l’auteure des recueils Encres de Chine (2015) et Inde mémoire (2018), parus aux Écrits des Forges, n’a rien pour séduire un lectorat avide de fictions transcendant les lieux communs.

Autour du très générique Sex Bar

Il faut néanmoins reconnaître que la romancière en herbe sait, en quelques mots, quelques phrases, camper des personnages très typés, dont Ophélie, digne héritière de l’univers shakespearien, « fille miracle » issue d’un milieu bourgeois, lettré et cultivé et élève modèle dans une école pour jeunes filles, institution qu’elle quitte d’ailleurs pour « l’école de la vie », ou plutôt celle du Sex Bar, établissement sordide où performent des effeuilleuses. Là, elle côtoie Sandra, danseuse autrefois admirée pour son corps de rêve, mais inspirant désormais du dédain, au plus de la pitié, en raison de son physique jugé disgracieux. Dépendante aux jeux de hasard, elle l’est tout autant de Mario, un vendeur de drogues crapu-leux. Mais Ophélie et Sandra ne seraient rien sans Djamila, cette croqueuse de diamants qui déploie mille et un stratagèmes pour arriver à ses fins et qui représente « [t]oute la magie des mille et une nuits en un seul regard » (difficile de faire mieux comme cliché !). Autour de ces trois protagonistes évolue toute une faune bigarrée incarnant la déchéance humaine la plus pure et brute.

Entre stéréotypes et clichés

L’une des plus grandes faiblesses de Jelly Bean, c’est de véhiculer des poncifs. Ainsi, les danseuses nues sont des objets sexuels se définissant avant tout par leur corps — et dans une moindre mesure par leur consommation vertigineuse de drogues : « On va être des amuse-gueule avec nos minijupes ras-le-bonbon, nos décolletés aguichants, nos jambes en longueur miam-miam. » Les clients, pour leur part, sont « des vieux vicieux qui veulent s’faire branler après avoir changé leur chèque de vieillesse » et qui désirent assouvir leurs pulsions, toutes plus avilissantes les unes que les autres. N’y aurait-il pas eu moyen de dresser un portrait un peu plus nuancé du quotidien des danseuses nues ? Les personnages féminins n’auraient-ils pas pu être davantage que des victimes des évènements ? Pourquoi ne pas présenter une vision un peu moins manichéenne de la sexualité ? D’ailleurs, est-ce que ce roman n’aurait pas dû renouveler le discours sur la question au lieu de relayer de terribles et insidieux stéréotypes ? Assurément.

En conséquence de quoi, les personnages de Jelly Bean sont nettement trop plats. Malgré tout, ce ne sont pas les pistes intéressantes, disséminées çà et là dans le roman, qui manquent, comme ce passage à propos de Sandra : « Parfois, dans son regard, il y a une ombre de détresse, un vaste nuage noir insaisissable. » Cet autre extrait, dans lequel Ophélie détaille un lendemain de veille, est aussi éloquent : « Je suis encore stone raide, les gencives jusqu’en arrière des oreilles. Le cœur gros prêt à éclater en sanglots. » Toutefois, il s’agit davantage de pistes avortées, l’auteure préférant se cantonner à une esthétique trash qui semble par moments facile, pour ne pas dire tape-à-l’œil. Ce n’est pas tout de dépeindre, dans un vocabulaire cru, des pratiques sexuelles scabreuses : une telle démarche doit être soutenue par un propos. Or, dans Jelly Bean, tout est plutôt en surface.

Tics d’écriture

À ces réserves s’en ajoutent d’autres, tout aussi nombreuses, qui concernent l’écriture. Virginie Francœur multiplie les phrases interrogatives, exclamatives et nominales très brèves, donnant au récit un rythme rapide, voire saccadé, qui, au premier abord, n’est pas sans déplaire : « Matin pénible, chambre minuscule, murs lancinants. Un down d’enfer ! Atterrissage arrache-nombril sur le ventre. Déprimant. L’air ambiant d’une chaleur éprouvante. Mes dents claquent. Chaud-froid. J’ai faim ? soif ? » Cela dit, l’auteure abuse de telles structures syntaxiques, qui relèvent davantage du procédé et rendent le style lourd et répétitif. Idem pour ce qui est des majuscules, omniprésentes et irritantes. Est-il vraiment nécessaire d’écrire un mot comme « FUCK » en capitales alors que le terme en lui-même est suffisamment puissant pour ne pas avoir à recourir à des artifices typographiques ? Et que dire d’un passage comme « j’allais aux toilettes et je pissais psssssssssssssssssssssssssssss… », dont l’écriture phonétique navrante est à des années-lumière de l’inventivité langagière d’un Réjean Ducharme ?

Roman contenant quelques belles promesses qui ne sont pas vraiment tenues, Jelly Bean est au mieux un divertissement aigre-doux, au pire un livre d’un ennui abyssal. Il pourra séduire un lectorat en manque de sensationnalisme ; il laissera sur leur faim ceux à la recherche d’une certaine profondeur et d’une voix originale. ♦

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Virginie Francoeur
Montréal, Druide
2018, 176 p., 19.95 $