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La vie après la mort

Par le prisme de la famille et du couple, dans un savant mélange d’humour et de gravité, Pascale Renaud-Hébert aborde la maladie et la mort, la délicate question du deuil.

Théâtre

Par le prisme de la famille et du couple, dans un savant mélange d’humour et de gravité, Pascale Renaud-Hébert aborde la maladie et la mort, la délicate question du deuil.

Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2014, Pascale Renaud-Hébert a collaboré à l’écriture de quelques pièces, la plus récente étant Antigone, une réappropriation du texte de Sophocle mise en scène par Olivier Arteau au Trident. En solo, l’autrice a donné Princesse de personne, une pièce destinée aux adolescents et créée il y a peu par le Théâtre la Catapulte, et Sauver des vies, qui paraissait en février dernier à L’instant même.

Apprivoiser la mort

La pièce, créée en 2016 à Premier Acte dans une mise en scène de l’autrice, puis reprise à La Bordée en février 2019, s’articule autour de la mort imminente de deux femmes. D’abord il y a Murielle, fin quarantaine, conjointe de Jean, mère de Simon, dix-huit ans, et Philippe, seize ans. La mère de famille fait tout pour cacher à ses fils la gravité de son état de santé : « Ils ont besoin de nous. Ils ont pas besoin qu’on leur rajoute un stress. On s’est dit qu’on allait les protéger, pis c’est ça qu’on va faire, parce que c’est ça que ça fait des parents. » Puis il y a Maude, mi-vingtaine, conjointe d’Étienne, qui affronte le cancer avec une certaine sérénité : « J’ai mal. Partout. OK ? J’ai le goût d’y croire, je veux guérir. Mais j’aimerais ça qu’on accepte ensemble que ça se peut qu’on puisse rien faire. […] Si on a une bataille à choisir, j’aimerais ça qu’on choisisse celle d’être en paix. »

Alors que l’une est dans le déni, l’autre peine à profiter du temps qu’il lui reste à vivre. Il s’agit d’un drame, vous l’aurez compris, mais n’allez surtout pas croire que la pièce est sombre pour autant. Malgré le tragique de la situation, les personnages font face à l’adversité, savourent chaque moment, tentent d’en tirer le meilleur, cherchent par tous les moyens à « sauver des vies », autrement dit à survivre le mieux possible à la disparition de l’être aimé, à continuer d’avancer après son départ.

En une suite de courtes scènes, vingt-cinq instantanés où se juxtaposent la colère et l’apaisement, la rage et la résignation, l’autrice donne à observer des êtres humains qui relèvent peu à peu, avec un courage inouï, ce qui est probablement le plus grand défi qui soit : apprivoiser l’idée de la mort, que ce soit la sienne ou celle d’un être cher. Les personnages, que l’on suppose issus de la classe moyenne, ni riches ni pauvres, ni érudits ni incultes, sont assurément des êtres de peu de mots. Ce sont des hommes et des femmes qui n’ont pas appris à nommer leurs espoirs et leurs craintes, à expliquer leurs états d’âme, à mettre des mots sur leur détresse.

Entre les lignes

Pour une autrice de théâtre, c’est certainement un grand défi que de construire des personnages, de leur donner une intériorité, une psychologie et une sensibilité, tout cela en utilisant un minimum de mots. Ça signifie qu’il faut faire confiance aux silences, les doux comme les douloureux, s’assurer de nourrir les non-dits, d’étoffer le sous-texte, de placer beaucoup entre les lignes. Ainsi, il y a ce que les personnages de Pascale Renaud-Hébert disent, les mots souvent banals qu’ils prononcent, ce qu’ils affirment, généralement pour se convaincre eux-mêmes ou pour persuader les autres, puis il y a ce qui se trame sous la surface. C’est là que se loge une certaine vérité, une simplicité, quelque chose de grandiose et d’anodin qui pourrait bien tenir de l’authenticité.

Quand tous les personnages masculins de la pièce se retrouvent, que leurs trajectoires se croisent à un instant précis, dans un hôpital en particulier, à un étage et pas à un autre, on assiste à une scène bouleversante. Sur une machine à chips récalcitrante, qui refuse de leur donner les sacs pour lesquels ils ont pourtant payé, les quatre hommes vont déverser leur peine et leur colère, canaliser leur sentiment d’impuissance, s’en libérer dans une manœuvre aussi hilarante que cathartique. « On se fait tout le temps fourrer, lance Jean. Une vraie gang de moutons, maudite marde. Là, c’est pas vrai qu’une machine va décider pour nous si on mange des chips ou ben si on en mange pas. »

Nous avons certainement affaire à ce qu’on pourrait appeler du « théâtre d’acteurs ». C’est-à-dire que la partition attend plus que d’ordinaire l’apport du comédien pour exister pleinement. Soyons clairs, ce n’est pas plus simple à écrire. Il s’agit seulement d’un registre différent, moins littéraire peut-être, mais pas moins ciselé. D’autant que l’autrice a soigneusement élaboré la structure de sa pièce, s’assurant que les deux histoires se répondent, que les destins s’entrelacent, que les deuils s’éclairent mutuellement et que les amours se fassent écho. ♦

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Pascale Renaud-Hébert
Québec, L'instant même
L'instant scène
2019, 90 p., 14.95 $