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La survivance

Catherine Leroux propose un roman décrivant un monde confronté à son terme. Devant l’impasse, périr ou guérir sont les seuls choix possibles.

Littératures de l'imaginaire

Catherine Leroux propose un roman décrivant un monde confronté à son terme. Devant l’impasse, périr ou guérir sont les seuls choix possibles.

Gloria arrive à Fort Détroit, une ville inhospitalière dont plusieurs quartiers sont abandonnés. La femme s’installe dans la maison de sa fille, Judith, avec qui les liens s’étaient distendus au fil des années jusqu’au point de rupture. Celle-ci a été assassinée, et depuis le meurtre, les deux petites-filles de Gloria, âgées de douze et quinze ans, sont introuvables. S’amorce une quête pour reconstituer le fil des évènements permettant de comprendre le drame. Mais comme il ne s’agit pas d’un roman policier, les rouages de l’enquête ne priment pas; les amitiés improbables, la place accordée au pardon et les deuils rédempteurs forment plutôt la matière de ce livre.

Les appartenances

Parallèlement à la venue de Gloria à Fort Détroit, une autre histoire se déroule dans le parc de la Rouge, une petite forêt dissimulée aux yeux de la civilisation. Un clan d’enfants abandonnés à leur sort y a érigé une structure hiérarchique et promulgué ses propres lois. La ville est tenue à distance, car les enfants, farouches, ne font plus confiance aux adultes. D’ailleurs, quand un enfant cesse d’en être un, il doit quitter le groupe. Ils se donnent des noms correspondant à un aspect de leur personnalité ou de leur histoire. Tic-tac, Méthode, Baleine, Vlime, Loupiote et les autres forment une sorte de société secrète où les plus grands prennent soin des plus petits. Toutefois, cette fraternité n’est pas idyllique: la vie au cœur de la nature, fort rude, décime plusieurs jeunes au cours d’une saison.

On retrouve aussi une communauté à la ville. La voisine de Gloria, Eunice, personnage bourru, défiant, mais doté d’un bon cœur et d’une solide volonté d’action, devient rapidement sa complice. À elles se greffent Raquel, sorte de chamane qui parle aux morts et exorcise les chagrins; Francelin, le scout toujours prêt; Bûche et Minou, un drôle de couple mal assorti au premier coup d’œil; enfin, Salomon, un homme charitable ne manquant jamais une occasion de déclamer ses pseudo-discours patriotiques et cultivant son champ à l’aide d’amis avec qui il partage ses récoltes.

Une même préoccupation ronge les habitants de la cité désaffectée et ceux du camp. À la ville, un étrange phénomène inconnu rend les citoyens malades, tandis que dans les bois, les animaux semblent avoir perdu leur instinct, et la rivière est traversée de charges électriques. Quelques jeunes se portent volontaires pour une expédition vers l’île Gus, sur un radeau construit avec ce qu’ils ont pu trouver. Ils voguent vers le sud, espérant connaître la source du problème. Ce qu’ils découvrent les laisse hébétés: «Ils se taisent, mais pour la première fois depuis des jours, un sourire déchire leur visage; ce n’est pas de la joie mais autre chose, l’envers de la rage, le basculement de l’impuissance.» Cette impression d’un renouveau au centre du désastre transparaît un peu partout dans le roman et crée sa trame de fond. L’horreur est là, mais quelque chose veille.

Convoiter un monde nouveau

Petit à petit, les habitants des deux mondes se rencontrent et s’apprivoisent: ils apprennent les uns des autres, se transmettent leurs expériences. Le réalisme cède de plus en plus de terrain au merveilleux sans que la crédibilité en souffre. Cette incursion sert au contraire à montrer la lumière au milieu du marasme, cet élément intangible et mystérieux qui nous entraîne vers un sursaut de conscience. La langue familière des enfants apporte une bonne dose de vraisemblance à la tribu, qui s’occupe elle-même de son éducation.

C’était une fois une petite fille aux boucles d’or qui se promène dans la rue. Elle a vu une maison ambandonée. Elle a rentré, elle a vu qu’il y a des chaises mais quand elle s’assoit, elles sont cassées [sic].

Ce passage, dans lequel Vlime raconte une histoire à Loupiote comme si elle était sa fille, évoque le besoin immanent de la parole et du jeu pour grandir. Leroux déploie un talent de conteuse hors pair: elle crée des personnages bien campés, soutient le rythme de l’action, use de métaphores parfaites et fait sourire. L’abondance de protagonistes altère néanmoins la clarté du texte. Si l’écrivaine en avait réduit le nombre, elle aurait mis en relief leurs quêtes et évité la multiplication des sous-intrigues. Par ailleurs, L’avenir donne l’impression qu’il contient en réalité deux livres distincts, ce qui fragilise sa structure: d’une part, un roman écologiste; de l’autre, une œuvre sur le deuil et la culpabilité. Tous deux s’emboîtent bien grâce à l’habileté de l’autrice; néanmoins, chaque sillon aurait bénéficié d’être creusé séparément. Qu’à cela ne tienne, il s’agit d’un excellent ouvrage sur les déroutes, la solidarité et les recommencements.

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Catherine Leroux
Québec, Alto
2020, 380 p., 28.95 $