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La Sherlock Holmes de la Saskatchewan

La Sherlock Holmes de la Saskatchewan

Nous sommes en 1918 à Regina, la jeune capitale de la Saskatchewan. Au département de la Santé, la docteure Lesley Richardson, bactériologiste, vient d’être promue médecin légiste de la province.

Polar

Nous sommes en 1918 à Regina, la jeune capitale de la Saskatchewan. Au département de la Santé, la docteure Lesley Richardson, bactériologiste, vient d’être promue médecin légiste de la province.

Les automobiles n’ont pas encore supplanté les voitures à cheval, et la police provinciale a tout juste été créée, indépendante de la Police montée du Nord-Ouest. Ce 22juillet, deux cadavres requièrent les compétences de la docteure Richardson: celui d’un jeune apprenti forgeron, Samuel Stein, tué en pleine nuit dans la forge; et le squelette d’un homme découvert à l’écart d’un sentier, en rase campagne.

Faire parler les cadavres

On en déduit un peu vite que ces restes sont ceux de Lionel Sanschagrin, un Métis porté disparu depuis un an, et dont les activités illicites étaient assez notoires. La contrebande se porte bien dans cet immense territoire difficile à contrôler: c’est l’époque de la prohibition de l’alcool et des premières lois interdisant l’opium, puis la morphine et la cocaïne. L’esprit scientifique de Richardson ne peut se résoudre à identifier ce squelette sans aucune preuve. Mais comment faire parler un tas d’os nettoyés et incomplets? L’analyse du corps de l’apprenti donne plus de résultats: il semble bien qu’il soit resté sans défense face à son agresseur, lui qui était pourtant connu pour son goût de la bagarre. Se serait-il laissé tabasser à mort, alors que son corps ne contient pas de traces d’alcool ni de drogue?

Richardson, bien décidée à éclaircir ces deux mystères, n’a pas l’intention que Mutch, le chef de la police, la relègue à un rôle d’exécutante de laboratoire, ni de se faire dicter sa conduite par McGuire, l’avocat en vue de la ville. Elle a non seulement l’esprit scientifique, mais aussi un franc-parler, nécessaire dans ce milieu d’hommes, qui lui vaut des inimitiés tenaces. À l’échelon social inférieur, ses compétences inspirent plutôt le respect, voire l’amitié. Morley Vines, un vieux routier des enquêtes criminelles passé de la GRC à la police provinciale, ainsi que Raphael et Riley, de jeunes recrues, comptent sur la «Doc» pour progresser dans ces deux enquêtes où les rares indices ne mènent à priori nulle part.

Du côté du polar historique

Pour créer son héroïne, Elisabeth Tremblay s’est librement inspirée de la personne de Frances Gertrude McGill. Une courte biographie à la fin du livre, rédigée par l’autrice, nous apprend que cette diplômée de médecine d’origine manitobaine a occupé à Regina, de 1918 à 1946, les postes de bactériologiste provinciale, de médecin légiste en chef, puis de directrice. Ses compétences en médecine légale lui avaient valu le surnom de «Sherlock Holmes de la Saskatchewan».

Voilà de quoi créer un riche personnage de détective, dans un univers finalement assez inédit. Dans la veine des polars historiques (tels ceux mettant en scène le juge Ti, frère Cadfael ou Charlotte Ellison, pour citer les plus célèbres), Tremblay s’attache à faire vivre une docteure Richardson proche de nous malgré la distance. Elle restitue les gestes et les savoirs de la médecin, ses relations complexes avec l’institution judiciaire, et plus généralement l’ambiance des années 1920 dans l’Ouest canadien. Dans cette société encore très rurale, Richardson enquête sur un terrain auquel elle est peu habituée, celui des remèdes de grand-mère et d’herboristerie, qui relèvent à la fois de savoirs empiriques féminins et d’un peu de magie. Avec l’immigration, de nouvelles plantes, mal connues, sont apparues. L’héroïne aura besoin de l’aide de Lucinda, sa gouvernante et son amoureuse, pour pénétrer le secret des jardins villageois.

Certains détails du récit ou des dialogues nuisent cependant à la vraisemblance historique. Dans la réalité, il est peu probable qu’en pleine guerre mondiale, le père de Samuel Stein, qui revendique haut et fort son origine allemande, aurait réussi à faire pression sur le chef de la police et compté parmi ses amis l’important avocat McGuire. À partir de 1914, les immigrés de langue allemande (venus d’Allemagne et d’Ukraine) sont considérés par le gouvernement comme des «étrangers ennemis» et internés dans des camps. À Regina, des émeutiers détruisent les bureaux du journal germanophone Der Courrier. Enfin, si l’atmosphère de l’époque – tiraillée entre misogynie et amélioration du statut des femmes, entre progrès scientifique et méfiance vis-à-vis de celui-ci – tient une grande place dans le livre, le reste du climat social apparaît de façon un peu trop schématique et didactique. Une présence plus incarnée de ce contexte aurait peut-être contribué à densifier l’intrigue. Il y a pourtant de bonnes idées dans ce roman, comme celle de montrer qu’à d’autres époques, dans un cadre social accepté – ici celui de la gouvernante et de la propriétaire –, des femmes qui s’aimaient ont pu vivre ensemble en préservant les apparences.

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Elisabeth Tremblay
Montréal, Flammarion Québec
2022, 304 p., 26.95 $