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La carte de Tessila

Savez-vous en quoi consiste la carte de Tendre? Il s’agit d’une représentation topographique des étapes de la vie amoureuse, popularisée au XVIIe siècle par les précieuses.

Littératures de l'imaginaire

Savez-vous en quoi consiste la carte de Tendre? Il s’agit d’une représentation topographique des étapes de la vie amoureuse, popularisée au XVIIe siècle par les précieuses.

Figuraient sur ce document, aux allures d’univers de fantasy, divers succès et écueils que le prétendant rencontrerait sur sa route: l’oubli, la tiédeur, la reconnaissance… Le premier tome de Sous le ciel de Tessila, de Mylène Gilbert-Dumas, m’a rappelé la carte de Tendre: nous suivons, dans un territoire imaginaire, un récit qui est en partie une romance.

La coupe de Djam fait alterner les points de vue de Mydrielle, historienne en quête d’information sur le Livre des rois, et de Marceline, abbesse du Protectoriuil. Les héroïnes, dont les voix narratives et les personnalités se ressemblent (trop?), font connaissance dans la ville sainte de Tessila. Car elles ne partagent pas qu’un amant passé ou présent – Kian, un «terrible Omsk» –, mais aussi un intérêt pour la coupe de Djam, sorte de Saint-Graal «qui perme[t] à celui qui regard[e] à l’intérieur de voir tout ce qui se pass[e] dans le monde». Afin de dénicher cet objet, Mydrielle sillonne pendant des semaines le désert à l’est des monts du Dagrab. D’ailleurs, la traditionnelle carte des ouvrages de fantasy est claire et bien réalisée, avec quelques lieux non évoqués dans La coupe de Djam qui, je le devine, seront à l’honneur dans les tomes ultérieurs de la série.

Tandis que Mydrielle parcourt le désert hostile et les cités de voleurs qui le jalonnent, Marceline se retrouve assaillie par des visions prophétiques liées aux destinées des empires: «Pour quelle raison le Tarim a-t-il envahi Tessila?» Sans surprise, différents périls se dressent sur la route des protagonistes: empoisonnements, batailles… Toutefois, Gilbert-Dumas ne maîtrise guère les scènes d’action: «Très vite, Marceline ne vit qu’une seule masse sombre et mouvante, comme si les combattants avaient fusionné. De temps en temps, la lame du djambia accrochait un éclat de lune avant de replonger dans les ténèbres. Les chevaux paniquaient. Freskil rageait.» Plutôt synoptique et distant pour un violent combat, n’est-ce pas?

Au cœur des murailles

Néanmoins, les relations entre les personnages et les désirs qui les tenaillent sont incarnées avec justesse. Idem pour l’arrière-monde qui, bien que traditionnel, est décrit de façon sensorielle, évocatrice. Les villes sont dépeintes avec soin, notamment Pahdu, creusée sous la surface d’un piton rocheux, et dont la «fondation remonte à la nuit des temps». Je devine le goût de l’autrice pour les voyages, les routes empruntées par les caravanes, peut-être même les pèlerinages. Je souligne le mot «devine», puisqu’il s’agit de ma première incursion dans l’univers de l’écrivaine, quoiqu’elle ait une douzaine de publications à son actif, essentiellement des romans historiques. Ce premier tome m’a fait joliment penser à des réussites en fantasy, dont la série La tueuse de dragons (Alire, 2010), d’Héloïse Côté (quoiqu’en plus romantique), et le premier volume d’Anan (VLB éditeur, 2020), de Lili Boisvert, avec sa traversée d’une jungle périlleuse par un groupe de protagonistes en quête d’un objet salvateur.

Trajectoires nouvelles

Gilbert-Dumas s’impose comme une conteuse chevronnée: son écriture est souple; ses chapitres, rythmés. Malgré tout, leur découpage m’a parfois paru mécanique: une scène dans la salle du trône est notamment scindée en deux (chapitres vingt-six et vingt-sept). Pourquoi ne pas proposer un chapitre de neuf pages qui comprendrait l’ensemble des échanges? J’ai eu l’impression que ces courtes sections relevaient soit d’une habitude de l’écrivaine, soit d’une exigence de ses éditeurs. Une telle division n’optimise pas toujours les récits, puisqu’un chapitre constitue le plus souvent une unité dans ce type de fiction à la narration somme toute classique.

Finalement, je souhaite découvrir la suite de cette œuvre à l’imaginaire inspiré et chatoyant. Mylène Gilbert-Dumas, autrice au parcours salué et au professionnalisme évident, a clairement lu bon nombre d’ouvrages de fantasy avant de se lancer dans la rédaction d’une histoire de ce genre. Nul doute, elle s’est aussi documentée sur les territoires désertiques qui pulsent en harmonie avec le désir de ses personnages. J’ai déposé La coupe de Djam avec des envies irrépressibles de voyages et l’instinct de me pencher, loupe à la main, sur la carte de Tessila et sur celle de Tendre. Peut-être qu’en les superposant…

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Mylène Gibert-Dumas
Montréal, Flammarion Québec
2022, 26,95 p., 26.95 $