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Inhumer, profaner

Auteur d’une œuvre incontournable mais indisponible en librairie depuis des lustres, Denis Vanier fait l’objet d’une réédition anthologique au traitement éditorial minable.

Poésie

Auteur d’une œuvre incontournable mais indisponible en librairie depuis des lustres, Denis Vanier fait l’objet d’une réédition anthologique au traitement éditorial minable.

Il me peine de l’écrire, on s’attend maintenant au pire à chaque parution des Écrits des Forges. L’éditeur trifluvien, acteur majeur dans l’édition de poésie au Québec depuis 1971, ne publie pas, bien entendu, que des recueils décevants — les récents ouvrages de France Théoret, Francis Catalano et Mario Cholette, trois auteurs maison, sont très certainement dignes d’intérêt —, mais en matière de poésie contre-culturelle, à laquelle elles ont été associées de près depuis le début des années 1980, Les Forges gâchent occasion après occasion de se redonner de la crédibilité, publiant des projets tour à tour approximatifs, insatisfaisants ou carrément honteux. C’est le cas du recueil récent de Claude Péloquin, La valse fatale, ridicule et imbuvable, et de l’anthologie Pages intimes de ma peau de Josée Yvon, où les poèmes étaient laissés à eux-mêmes, sans paratexte critique autre qu’une quatrième de couverture absurdement longue, mais pas instructive pour autant, et grevée d’impairs éditoriaux (un poème a même été reproduit deux fois dans le recueil! Soupir.).

Les ajouts récents de jeune poésie aux accents rebelles à leur catalogue n’allègent malheureusement pas le bilan. J’ai parlé dans ces pages de l’indigne premier recueil Encres de Chine de Virginie Francœur — dont j’ai tu les maladresses tout aussi inexcusables d’Inde Mémoire, son recueil suivant —, et je doute très fort que les derniers livres de poésie de David Goudreault et de Marco Geoffroy, pour ne nommer qu’eux, auraient pu être publiés ailleurs. Les Écrits des Forges ne parviennent pas à accompagner adéquatement leurs nouvelles voix et l’exploitation de leur riche fonds littéraire est si bâclée qu’elle en est pénible à voir.

«près d’un chaud crime»

Difficile de trouver un auteur plus célébré mais dont les œuvres sont absentes de manière aussi criante que Denis Vanier. Tandis qu’on n’espère plus la réédition annoncée de ses nombreux recueils parus aux Herbes rouges (comme ceux de Josée Yvon, par ailleurs), les Écrits des Forges rendent de nouveau disponibles dans leur intégralité (du moins, faut-il le présumer) cinq titres importants du mythique poète tatoué de la rue Ontario, dont L’épilepsie de l’éteint, qui donne le ton aux immenses recueils de fin de vie qui suivront. Notons d’emblée, puisque cela n’est nulle part clairement mentionné, que l’un de ceux-ci, L’odeur d’un athlète, est d’abord paru aux Éditions Cul-Q animées par Jean Leduc, en 1978. Considérant l’importance négligée de Leduc (décédé en 2012) dans l’histoire de l’édition de poésie québécoise, une simple mention de l’éditeur original de l’œuvre aurait été courtoise. La même omission a été commise lors de la réédition de La chienne de l’hôtel Tropicana (Cul-Q, 1977) de Josée Yvon dans Pages intimes de ma peau.

L’anthologie comprend également cinq textes publiés dans les Ateliers de production littéraire de la Mauricie, une revue de création dirigée par Gatien Lapointe depuis l’UQTR, où il a fondé les Écrits des Forges et enseigné à plusieurs poètes, dont Yves Boisvert, Bernard Pozier et Lucien Francœur. De cette fascinante revue, toutefois, pas un mot dans Onction extrême, hormis son abréviation absconse aplm dans la notice bibliographique, strictement inutile à quiconque serait curieux de la découvrir.

On voit aisément où je veux en venir: l’absence complète d’un appareil critique pour contextualiser l’œuvre republiée (je veux dire: pas même une préface? Re-soupir.) n’est pas que décevante. Elle est impardonnable.

Le recueil s’ouvre sur une faute grossière. En reproduisant «En pleine pubiotomie carnivore», la section signée Vanier dans le livre Koréphilie (1981, mais, croyez-le ou non, il est écrit «1978» en quatrième de couverture), l’éditeur n’indique même pas que l’ouvrage avait été à l’origine écrit à quatre mains, puisque l’autre moitié du livre, «Gogo Boy», est l’œuvre de Josée Yvon. Que les deux parties du recueil puissent être aujourd’hui republiées de manière autonome se discute, mais que la seule mention de la contribution d’Yvon au recueil soit la présence de son nom sur la reproduction de la couverture est absolument disqualifiant. Quel intérêt pour le patrimoine, la mémoire, la recherche, pour la fichue vérité factuelle, merde, de publier une anthologie dénuée de marqueurs historiques et contextuels?

Une autre bévue? Le recueil L’Hôtel brûlé de 1993 était à l’origine une coédition avec les éditions Perce-Neige (Moncton, Nouveau-Brunswick) et Le Castor astral (France-Belgique). Quant à L’épilepsie de l’éteint (1988), il a été coédité avec La Table Rase (France). On a jugé superflu de divulguer ces détails également. C’est un désastre triste que de faire déshonneur à une œuvre importante. Manifestement, les Écrits des Forges s’en moquent bien. On croirait même les lire ici, dans cet extrait de L’odeur d’un athlète :

On a pitié de vous autres, les poètes
nous sentons s’emplir de soupirs secs
la fausse couche de l’illumination
Dé/faire le quotidien est affaire de police
et de poésie

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Denis Vanier
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2018, 206 p., 20.00 $